Imprimer cette page

Analyse de l'accord dans la métallurgie du 27 juin 2016

06 Déc 2016
Écrit par 
Lu 1982 fois

Que dit ?

 

« L’accord national du 27 juin 2016 relatif à la mise en œuvre opérationnelle de la négociation de l’évolution du dispositif conventionnel de branche de la métallurgie »

 

1.                  Signé par toutes les fédérations syndicales de la métallurgie, cet accord conclu une première phase de discussions engagées, depuis 2013 entre l’organisation patronale, UIMM (Union des Industries et des Métiers de la Métallurgie) et les fédérations syndicales de la métallurgie sur l’ensemble du dispositif conventionnel couvrant la branche de la métallurgie. (Premier paragraphe du préambule)

2.                  A la suite de cette première phase de discussions, «il a été décidé d’élaborer un plan de mise en œuvre pour concrétiser, ensuite, ces principes en un nouveau dispositif opérationnel, favorisant l’emploi, le développement, l’attractivité et la performance des entreprises en intégrant les enjeux économiques et sociaux »    (Deuxième paragraphe du préambule)

Il se pose ici une série de questions.

Comment ce nouveau dispositif peut-il à la fois favoriser l’emploi le développement, l’attractivité et la performance des entreprises ? Que signifie l’attractivité des entreprises ?

Quels sont les critères définissant la performance d’une entreprise ?

Cet accord ne comporte aucun glossaire rassemblant les mots et expressions utilisés dans le texte. Nous en sommes réduits à utiliser les définitions actuellement en cours dans l’économie et le système économique actuels, c’est-à-dire « libéral » ou plus communément « capitaliste ».

L’attractivité d’une entreprise est sa capacité à attirer les détenteurs de capitaux afin que ceux-ci y investissent. La décision d’investir dépendra largement de la capacité de l’entreprise, de ses dirigeants à s’engager et à tenir leurs engagements sur le retour sur investissement dont bénéficieront les investisseurs, c’est-à-dire sur la rentabilité de l’entreprise. Dans le système économique actuel, les entreprises privées et il s’agit bien d’elles, appartiennent à des personnalités juridiques privées, en   général actionnaires de l’entreprise. Le seul critère retenu par un actionnaire est le gain financier, c’est-à-dire la réponse à la question « Combien m’a rapporté, cette année, l’argent que j’ai investi dans cette entreprise ? » Pour lui, le critère dominant est donc cette rentabilité financière. S’il s’agit de simplifier le dispositif actuel dans l’objectif de favoriser l’attractivité comme le dit cet accord, alors nous connaissons déjà le résultat de ces propositions. Ils sont sous nos yeux.[1]

3.                    Cet accord fixe la méthode, les objectifs et la durée des négociations engagées entre le patronat de la métallurgie et les fédérations syndicales et devant aboutir  à un nouveau dispositif conventionnel et de nouvelles procédures de négociation en remplacement de tous les textes réglementaires existant (code du travail, conventions collectives, …)

Comme le répète l’article 2, il ne s’agit ni plus ni moins que de tout réécrire.  « L’ensemble des dispositions conventionnelles devant être réécrites, une liste des thèmes de négociation a été élaborée et ordonnée… »

4.    « Le futur dispositif conventionnel comprendra :

– un « socle commun » (cette dénomination n’étant pas figée), négocié au niveau national, – accord collectif qui définira un ensemble de principes généraux, de règles communes, stables et identiques pour toutes les entreprises de la branche –, destiné à être repris dans son intégralité, paritairement, au niveau territorial »  (Article 1)  Pourquoi donc accepter comme préalable que le code du travail ne soit plus le socle commun dans la branche Métallurgie ?

5.    De plus, cet accord prévoit de remplacer les conventions collectives par «des accords dits

« autonomes », qui regrouperont, par thématiques (Article 2)

  • des règles susceptibles d’évolution rapide en raison d’enjeux sociaux, politiques et économiques 
  • dont le champ d’application sera celui de leur choix : Entreprise, régional, local, national
  • être conclus à durée indéterminée ou déterminée, éventuellement à titre expérimental
  • être ou ne pas être soumis à la procédure d’extension pour les réserver aux seules entreprises adhérentes à l’organisation patronale signataire, en particulier pour les accords expérimentaux»

6.    Le terme de ce gigantesque chantier de démolition est « fixé à fin de l’année 2017 » (Art2)

« Pour respecter le calendrier ambitieux mentionné ci-dessus, la commission paritaire de négociation se réunira à l’UIMM une demi-journée toutes les deux semaines » (Art 3.2) Par le projet de « nouveau dispositif conventionnel » le patronat pourra remplacer nos conventions collectives par des accords locaux ou d’entreprises.

7.       Il ne s’agit pas comme le souligne le deuxième paragraphe de l’article 1 de cet accord (« des règles susceptibles d’évolution rapide ») de remplacer la réglementation actuelle par un édifice stable mais de permettre que toute règle émise soit adaptable aux besoins à court terme des STN.

8.    Qu’est-ce que la procédure d’extension ? Lorsqu'un arrêté d'extension de la convention collective est publié au journal officiel, elle est dite « étendue », ce qui signifie qu'elle prend force de loi pour toutes les entreprises relevant de son champ d'application. Tous les contrats de travail se référant à une convention collective, tous les salariés, syndiqués ou non, de toutes les entreprises de la branche, adhérentes ou pas de l’organisation patronale à savoir l’UIMM (Union des Industries et des Métiers de la Métallurgie), dépendent d’une convention collective. L’abandon de la procédure d’extension a deux conséquences. L’une connue et qui est à l’origine de son adoption en 1936 : Tout patron ne voulant pas appliquer la convention collective désaffilie son entreprise de l’organisation syndicale patronale signataire. La deuxième conséquence, propre à la mondialisation, est la dislocation de toutes les institutions nationales concernées par cette question, y compris l’organisation patronale. Les multinationales obtenant une rentabilité financière d’autant plus grande que les prérogatives des institutions nationales ont disparu en résultat de l’application des traités régionaux (dont les traités de l’UE, à commencer par le traité de Rome de 1957…)

9.    Nous constatons que rien dans cet accord n’est spécifique à la métallurgie, hormis la référence à cette branche dans le titre. Cela signifie, à notre sens, qu’un tel accord de méthode (donc dérogatoire au code du travail et dont l’objectif, inscrit dans son préambule, est partagé par tous les signataires, c’est-à-dire ici par l’UIMM et toutes les fédérations syndicales de salariés) peut être mis en œuvre dans n’importe quelle branche. Cela est d’autant plus grave que l’objet de cet accord est de réécrire la totalité du droit du travail existant dans ce pays depuis plus d’un siècle. Nous affirmons que, si ce plan aboutit, le risque est grand que soit totalement disloqués les acquis ouvriers fondamentaux.

10. Nous attirons l’attention de chacun sur le fait que cet accord est dans un certain sens une suite logique engagée en 1968 par la création de la section syndicale d’entreprise (inscrite dans  les accords de Grenelle) donnant partiellement le pouvoir de négocier à des salariés, certes mandatés, mais placés dans une relation de subordination économique vis-à-vis de l’employeur lui-même négociateur. Cette nouveauté a été présentée comme une victoire de la démocratie par la direction PCF de la CGT de l’époque. Une fois ce cadre juridique posé, en chaque occasion, les possibilités de conclure au niveau de l’entreprise un accord dérogatoire au droit du travail (Code du travail et conventions collectives) ont été multipliées. Ce bouleversement juridique permet de placer les salariés et leurs syndicats dans le même type de relations avec les employeurs que celles dans lesquelles sont placées les entreprises de sous-traitance par leur donneurs d’ordre, les grands groupes, souvent STN.[2] La lecture de cet accord est sans ambiguïté. Sitôt la loi travail adoptée, les multinationales, qui ont multiplié les pressions et démarches pour son adoption, protestent qu’elle est insuffisante et exigent, après ce coup terrible porté au Code du Travail, d’en finir avec les Conventions Collectives et que soit démantelé tout le droit du travail[3] par de tels accords de branches. Cela nous ferait revenir 132 ans en arrière !

Versailles le 12 septembre 2016

 

 

Note de l’IESE : Toutes les citations de l’accord sont en Italique

 


[1] Le bilan de trente ans de cette politique déréglementaire de flexibilité et d’austérité est la disparition depuis 1975 de plus de 2,7 millions de postes de travail dans l’industrie, l’explosion du chômage dépassant aujourd’hui les 10% de la population active, l’existence de 10,5 millions de chômeurs et de travailleurs pauvres et précaires. Dans le même temps, les bénéfices et les marges ont atteint des sommets. La perte pour les salariés de 1980 à 2010 représente 133,9 milliards d’euros. Ces sommes gigantesques sont venues gonfler les dividendes perçus par les actionnaires des multinationales et les caisses des banques. Insistons : cette somme de 133,9 milliards d’euros correspond à une perte annuelle du salaire moyen par salarié en 2010 de 5 579 € (SMPTSalaire Moyen Par Tête).

[2] Une des caractéristiques essentielles de la « mondialisation » est le développement en nombre et en puissance des STN (Sociétés transnationales ou multinationales). De 7 000 dans le monde en 1980, elles sont plus de 80 000 aujourd’hui, contrôlent plus du 1/3 des exportations mondiales et environ 150 d’entre elles contrôlent la totalité. Parmi ces multinationales on trouve en tête les 28 plus grosses banques mondiales, 16 européennes, 8 américaines, 3 japonaises et une chinoise. Ajoutons que quand l’une d’entre elle demande un rendez-vous au président de la République de notre pays, il l’obtient dans l’heure, tel fut le cas notamment de M. Mittal de l’entreprise éponyme reçu par M. Hollande pour que celui-ci approuve sa décision de fermer les industries sidérurgiques de Lorraine

[3] En 1884 est reconnu le droit syndical, permettant ainsi leur création dans tout le pays et toutes les branches. En 1895 est fondée la Confédération Générale du Travail, dont sont issues les actuelles CGT et FO. En 1906 est adoptée la Charte d’Amiens, du nom du lieu du Congrès de la nouvelle confédération syndicale. Obtenu par la loi du 25 mars 1919, consolidé par la mise en place, en 1936, de la procédure d’extension, le droit aux conventions collectives est à nouveau au cœur de la loi du 11 février 1950 garantissant la liberté de négociation.