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Trente glorieuses (1945-1975) - Mondialisation (1975- 2015)

25 Jui 2016
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Trente glorieuses (1945-1975) - Mondialisation (1975- 2015) © Raymond Burki

Colloque du 25 juin 2016

Trente glorieuses (1945-1975)

Mondialisation (1975- 2015)

Chers amis,

L'Institut d'Etudes Sociales Economiques du monde du travail a pris l'initiative de convoquer cette conférence débat aujourd'hui parce qu’il nous paraît important de contribuer à la discussion qui se mène dans le mouvement ouvrier sur les différentes questions qui l’animent. En introduction à ce débat, Denis Langlet indiquera ce que représente, selon lui, la mondialisation.

Denis Langlet : Le cœur de notre travail consiste à apporter les éléments de faits démontrant que, non seulement l'émancipation est nécessaire, le dégagement de la tutelle de la finance est nécessaire, mais qu'ils sont possibles. Et c'est même plus simple qu'il n'y parait. La discussion ne règlera pas le problème du comment, mais sur les fondements économiques de l'émancipation il nous faut des éléments attestant cette affirmation. De tout temps, la protection du système capitaliste s'est faite sur : « Oui, vous avez peut-être raison, quand vous dénoncez telle ou telle injustice, mais comment faire autrement ? Ce n'est pas possible d'avoir un monde basé sur l'égalité de la justice et l'égalité du droit. » Sur la mondialisation, l’accent est mis en permanence sur son caractère inéluctable, et qu’il s’agit d’une nouvelle phase du capitalisme

Alors que, s'il y a bien une période historique qui est directement le résultat de décisions humaines, c'est bien celle-ci. Sur tous les points il y a une décision humaine dont on pouvait connaître par avance les conséquences. Le caractère particulier de cette phase de la mondialisation est que tous les pays sont concernés quels que soient les degrés de leur développement économique et industriel et ce de manière quasi simultanée. En conséquence, il y a une unité des questions posées au sein du mouvement ouvrier dans notre pays et dans tous les pays du monde.

Comment en est-on arrivé là ? Comment la finance a-t-elle pu s’imposer à un tel niveau?

Je voudrais commencer en vous lisant le communiqué (24/06/2016) du PDG de General Electric Europe, troisième multinationale au monde, sur la Grande -Bretagne.: « Comme vous le savez les Britanniques ont voté hier soir la sortie de l'union européenne par référendum. Le vote en faveur du Brexit a remporté 52 % des voix contre 48 % favorables au maintien dans l'union européenne avec un taux de participation de 72 %. Bien que Général Electric ait clairement indiqué son soutien au maintien du Royaume-Uni dans l'union européenne, nous respectons la décision des Britanniques. Nous sommes un groupe industriel présent dans plus de 180 pays et donc habitués à travailler dans des environnements commerciaux très différents que ce soit en terme de climat politique, économique et social. Avec plus de 100 000 collaborateurs en Europe, ce continent est de la plus grande importance pour Général Electric. Nous demeurons engagés en Europe et au Royaume-Uni et comme le dit Jeff Immelt, nous pensons que l’Europe représente de réelles opportunités de développement et de croissance. Nous disposons d'une équipe expérimentée et je suis conscient de notre capacité de rester compétitif et d’accroître au sein du Royaume-Uni et de l'Europe ainsi qu'à l'export, dans des temps incertains et un monde volatile nous savons accompagner nos clients et nos équipes de la meilleure des façons. » Au moins il est extrêmement prudent en terminant par l'appréciation que la situation est volatile et les temps incertains pour le groupe. Et c'est bien ce que tout le monde ressent. Le seul problème c'est qu'il indique aussi l'inverse. Tout le monde a dit que si jamais l'Angleterre sort de l'union européenne économiquement et financièrement on va vers une catastrophe. Ceci n’est pas le cas, comme le confirme Général Electric. Ça c'est un point important. La décision prise majoritairement de quitter l'union européenne risque d’entrainer l'effondrement de l'Union Européenne. Pour les multinationales et la finance en général, c’est ce risque là qu’ils redoutent. En effet l'Union Européenne est le cadre juridique transnational mis en place au début des années 50 et dont toutes les décisions et les activités ont comme but de favoriser, améliorer le retour sur investissement des détenteurs de capitaux. Le premier acte de cette institution européenne a consisté à interdire les protections douanières des marchés intérieurs par les gouvernements et Etats d’Europe. La politique émise par Bruxelles et imposée à chaque Etat membre est, toute entière dictée par les fonds de pensions et autres fonds d’investisseurs, dont l’unique préoccupation est de réaliser au bénéfice de ses mandataires que sont actionnaires et détenteurs de capitaux, des gains financiers en hausse. Bien entendu, leur cible est tout ce qui peut entraver la libre circulation des capitaux et tout ce qui contraint ceux-ci à des obligations sociales pouvant limiter leurs gains. Ce sont les directives et les recommandations européennes qui sont à l’initiative de la modification, au début des années 70, du rapport de force économique en faveur du capital. De ce point de vue, tout élément de dislocation de cette Union Européenne comme résultat de l’exercice démocratique des peuples est positif.

Mais revenons d’abord sur la « loi travail » qui éclaire cette question.

Elle est examinée au Sénat et le Sénat vient de rajouter un article à la demande de M. Valls, premier ministre. Au Sénat, c'est la droite majoritaire qui a voté, à la demande de Valls. Ainsi est rédigé l’article L 1321-2. « Le règlement intérieur de l'entreprise peut contenir, par accord d’entreprise, des dispositions concernant le principe de neutralité restreignant la manifestation des convictions religieuses des salariés si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise, si elles sont proportionnées au but recherché». Pour la première fois dans l'histoire de notre pays, le salarié une fois dans l'entreprise, dépendra du règlement intérieur qui régit le fonctionnement de celle-ci. Il ne sera plus un simple citoyen pour lequel toutes les lois de la république s’appliquent. Il sera citoyen à l’extérieur de l’entreprise et dans l’entreprise il relèvera d’une règlementation spécifique. Qu'est-ce que cela veut dire ? Même le régime fasciste n’avait pas pris des dispositions pareilles. La source du droit d’unique, l’Etat, devient multiple, les entreprises. L’accord d’entreprise pouvant maintenant être inférieur à la loi, cette possibilité de règlement spécifique inclus dans la Loi par l’article L 1321-2 disloquera pour les mêmes raisons l’égalité des droits sur tout le territoire. Cet article est une nouvelle démonstration qu’ils (la finance et son personnel politique) sont prêts à tout pour maintenir et renforcer cette domination de leurs intérêts particuliers sur tout le reste de la société. Le mouvement ouvrier et démocratique n’a pas dit son dernier mot, j’en veux pour preuve le recul précipité du gouvernement qui, venant d’interdire aux syndicats la manifestation prévue contre cette loi le 28 juin 2016, a dû faire marche arrière devant le maintien de l’appel à manifester par les secrétaires généraux eux-mêmes de la CGT et FO.

Quelques remarques au préalable sur l’Institut IESE.

Beaucoup de travail a été accumulé. Surmonter notre grande faiblesse et fragilité devra être notre premier souci dans les mois à venir. La refonte complète de notre site Internet va faire partie de cette série de mesures pour lesquelles un appel exceptionnel de financement va être lancé à la mi-août. Cela dit, le travail réalisé permet aujourd'hui, sur chaque question, d'apporter des éléments de fait participant de la recherche actuelle d’une issue démocratique.

Et je crois qu’il est nécessaire de revenir sur la question essentielle : la place des syndicats.

Je considère qu’il faut rétablir dans notre combat la totalité des prérogatives des organisations syndicales pour ce qui concerne la loi et par rapport aux salariés. Il s'est passé une sorte de hold-up, essentiellement à partir de 1936, où tout ce qui concerne l’organisation de la société, qui la dirige et au profit de qui, relève des organisations politiques. Les organisations syndicales doivent se contenter du champ ouvert par les questions déposées tous les mois à la réunion des délégués du personnel ! J'exagère à peine. La discussion engagée au congrès de Nantes de 1894, jusqu'au congrès d’Amiens en 1905 sur la plateforme de la nouvelle confédération syndicale, fondée en 1895, la CGT, ne fait plus partie, de fait, des fondamentaux du syndicalisme. Je rappelle que cette discussion s’est traduite dans l’article 1 des statuts reprenant la nécessité de l’abolition de la propriété privée des moyens de production. La place historique du mouvement ouvrier est au cœur du combat qu'on appelait à l'époque, sous une formule générique, combat pour le socialisme. Après la seconde guerre mondiale, on a assisté à la tentative de mainmise sur les syndicats par les partis communistes, qui sur cette question, se sont comportés comme en quelque sorte les gardes-frontières de l'URSS. Aucune de leurs initiatives n’est le résultat de libre discussion au sein du syndicat. Une expression de plus que le stalinisme n’a jamais représenté un courant du mouvement ouvrier mais tout simplement une excroissance au sein de celui-ci, de l’appareil politique policier étatique construit contre Octobre 1917 par Staline. Dans tous les pays le choc a eu lieu. En France, cela a donné Force Ouvrière dès 1947 comme un des courants existants dans la CGT mais expulsé par le stalinisme de la CGT puis par ricochet la CFDT. Celle-ci a été confrontée à un autre problème à savoir que tout ce qui relève de la gestion de la société est dictée par la démocratie sociale de l'église. Et il y a eu des affaires comme l'affaire LIP sur l'autogestion d’une entreprise qui ont fait beaucoup pour compliquer le débat. Parce qu'il y avait ceux qui étaient pour l'occupation avec l'autogestion des stocks et ceux qui étaient contre. Pendant ce temps-là, les autorités du pays dirigeaient le pays. Vous savez, c'est la question d’un camarade, qui demandait à Yvon Rocton, quand il a occupé en 1968 l’usine de sud aviation à Bouguenais: « Ah, la décision d’occupation de ton usine et l’organisation de celle-ci avec assemblées générales, comités de grève et piquets de grève générale ont incontestablement constitué le facteur déclenchant de la Grève Générale, mais ensuite précise-moi, tu as occupé Bouguenais ou c’est Bouguenais qui t’a occupé? » Yvon a modérément apprécié mais, cela dit, le problème se pose parce que certes il a occupé l'usine mais il a aussi été très occupé par l'usine ! Et pendant ce temps-là les dirigeants du PC préparaient « gentiment » avec le général de Gaulle les conditions de l'arrêt de la grève générale en disant : « La grève a déjà beaucoup obtenu, seul un changement politique permettrait d’aller plus loin » renvoyant la réalisation de ce changement par le terrain électoral tout en organisant méthodiquement la reprise, entreprise par entreprise, branche par branche, le secrétaire général de la CGT, Georges Séguy, se faisant siffler sur l’île Seguin, par l’Assemblée Générale des grévistes de Renault Billancourt, ceux-ci renvoyant aux dirigeants « Ne signez pas » scandés à tue-tête. En effet, la signature des accords dits de Grenelle devait sonner la fin de la grève générale. On voit bien que cette question est une vieille question. À chaque fois le mouvement syndical depuis les années 30 est soumis aux décisions des dirigeants politiques qui tous, ont de fait comme stratégie la voie parlementaire.

Avant de revenir sur les bases économiques de la mondialisation un constat s’impose : les partis politiques dans cette phase explosent ou se disloquent tous.

On pourra d'ailleurs discuter des raisons de cette explosion mais il n'y a pas un seul parti politique qui tient le coup dans cette phase de mondialisation. Soit ils se délitent, soit ils se disloquent soit des scissions s’opèrent. Vous avez vu en Grèce, au niveau électoral le parti socialiste se retrouve en dessous de 10 %. Hollande a déjà battu, je crois, en ce domaine tous les records d’impopularité. Le parti de Mélenchon n'a pas pour l'instant répondu aux espoirs que certains lui portaient sur la capacité à être une organisation majeure dans le débat politique. Il est par ailleurs frappant de constater que chaque fois qu'un parti politique se constitue, sa direction décide de se présenter aux élections. Donc nous sommes dans une situation où les partis politiques éclatent, se disloquent mais aussi où certains naissent comme celui de Jack Nickhonoff. Nickhonoff qui dans sa conférence de presse accompagnant cette proclamation annonce que la décision de ce nouveau parti est déjà prise : se présenter aux élections présidentielles de 2017, le candidat étant Nickhonoff lui-même. Cela laisse un peu rêveur. Je sais bien que la popularité de Jack Nickhonoff est exceptionnelle mais quand même. On se demande ce qui se passe ! Je crois qu'avant de fonder un parti, il faut réfléchir à ce à quoi il sera utile.

Par hasard, j’ai appris que la discussion sur « faut-il ou non construire des organisations politiques ? » s’est menée dans les syndicats, dans les années 1890.

Et là, je vous dis que je suis assez surpris qu’ayant toujours participé au combat pour l’émancipation ouvrière, personne n’a attiré l’attention sur cette discussion de la fin du XIX° siècle. On a toujours demandé aux jeunes et aux travailleurs, et en particulier à ceux déjà organisés dans les syndicats d'adhérer à des partis politiques. Les principaux arguments sont que l’engagement syndical et ses limites ne permettraient pas de poser la question du pouvoir dans toute sa dimension. D’autres estiment, s’inspirant des leçons de la Commune de Paris, que la nécessité de destruction de l’ancien appareil de coercition, l’Etat bourgeois, exige la centralisation politique que seul, un parti politique peut donner.

La charte d'Amiens consacre la capacité du syndicalisme à être indépendant. Indépendant du patronat, des partis politiques, des religions, des sectes etc. Mais cela a été interprété aussi largement comme une forme d’apolitisme et les bureaucrates syndicaux, les dirigeants syndicaux ont souvent emprunté le chemin de l'apolitisme pour camoufler leur attitude conciliatrice envers les autorités en place.

Nous ne sommes plus en 1890, nous sommes en pleine mondialisation et il n’y a plus de place pour la liberté de discussion ou de négociation. Toutes les forces politiques, sociales, philosophiques, religieuses doivent être engagées, chacune à leur niveau, dans la lutte pour la baisse du cout du travail et les contre reformes dislocatrices des acquis sociaux arrachés par la lutte de la classe ouvrière.

N’est-il pas à l’ordre du jour de reprendre la discussion de la fin du XIX° siècle en y intégrant l’expérience des partis politiques ouvriers créés depuis cette date ?

Voilà ma première proposition. Elle concerne donc en premier lieu les syndicalistes, et les militants des associations démocratiques. Qui d’autres pourraient aujourd'hui prendre une initiative pour formuler une réponse politique. Et je pèse mes mots. Qui d’autre est qualifié moralement institutionnellement, par expérience et par la droiture, qui d'autres que les syndicalistes peuvent faire des propositions, des suggestions soumises à la discussion et rassemblant les expériences de tout monde.

Quelques remarques sur la mondialisation :

Quand on étudie la presse économique, souvent on compare la mondialisation avec la période précédente des 30 glorieuses c'est-à-dire 1945 à 1975. C'est daté, c'est fixé, c'est borné. Les bornes sont claires. 1945, c'est la libération. La borne est claire. 1975, c'est la fin de la guerre du Vietnam et la débâcle nord-américaine. Le début de la mondialisation est en fait marqué par les décisions unilatérales prises par les USA et annoncées par le discours de Nixon mettant fin à la convertibilité du dollar en or en 1971. Pourquoi ? Parce qu’en août 1971, on a dans le discours de Nixon qui est d'une très grande clarté: « on prend des mesures immédiates : non convertibilité du dollar en or car on ne peut pas, nous États-Unis avoir le fardeau tout seul du combat pour la liberté. » Ce qu'il appelait le combat pour la liberté c'est le maintien du système capitaliste sur l'ensemble de la planète sans être obligé d'envoyer à chaque fois une armada avec mise en place de bases militaires américaines. Ce discours annonce la mise en place de barrières douanières contre l'introduction aux États-Unis des produits fabriqués par les Chinois et les Européens. Ce discours maintient le soutien des Etats Unis au développement de la communauté européenne (Ex CECA Communauté Charbon Acier) sur la base du traité de Rome de 1957. Ce n'est pas un hasard d'ailleurs si le fondateur, le président de cette communauté européenne était un banquier avec des papiers français mais ayant exercé jusqu'à la fin de la guerre aux États-Unis c'est-à-dire le pays de la banque. 1971 me semble donc, pour toutes ces raisons-là, être le véritable point de départ de la mondialisation. Initiée donc en 1971, cette offensive des capitalistes a pris son plein essor avec les politiques de rigueur et d’austérités imposées dans tous les pays au début des années 80. Pourquoi ces années-là ? Tout simplement car la quasi-totalité des pays industrialisées, hors les USA, était dirigées par des équipes gouvernementales de « gauche », résultats de défaites politiques électorales des partis institutionnels de droite. Seuls des telles équipes à dominante PS avaient la capacité d’imposer un tel revirement grâce à leur capacité à impuissanter le mouvement ouvrier.

Prenons le cas de la France :

En 1945, on parle du modèle social français, du programme du CNR (conseil national de la résistance). On s’aperçoit que dans tous les continents, c'est à peu près le même programme qui a été appliqué et mis en œuvre. Le premier point de ce programme ce sont les nationalisations. La France, l’Inde, l'Italie… tous les pays ont nationalisé les transports, les mines, la métallurgie lourde, la métallurgie fine, l'énergie… c'est-à-dire le cœur de l’économie. Je rappelle la remarque du général de Gaulle, à qui le patronat avait fait une démarche avant l'adoption par le gouvernement de coalition avec MRP, PCF, SFIO, de l'application du programme du CNR. Le patronat avait rappelé son opposition aux nationalisations. « Quand le peuple est en marche vers la Bastille, il n'est pas de bon aloi de se mettre en travers ». Donc clairement il leur a dit en quelque sorte « que voulez-vous qu'on fasse ? Pour sauver notre pouvoir, pour sauver l'essentiel, il faut composer avec la classe ouvrière et ses organisations. Donc on se retrouve dans une situation en 45 ou quasiment tous les pays ont des secteurs nationalisés importants. Avec partout des débuts de sécurité sociale. Il n’y a qu’en France où cette sécurité sociale est basée sur une égalité réelle, c'est-à-dire quel que soit le montant de votre cotisation vous avez les mêmes droits. Ça c'est unique dans le monde. Ensuite du point de vue du marché mondial puisqu'on parle des questions économiques on s'aperçoit qu'il s'est considérablement rétréci. L’URSS, née en 1917 puis toute l’Europe de l’Est en 1945, enfin la Chine en 1949, sont sorties du marché mondial. Donc on voit que le capitalisme en tant que système et les capitalistes en tant que détenteurs des capitaux se sont retrouvés dans une situation délicate avec d’une part, un marché mondial extrêmement rétréci et d’autre part, dans les autres régions du monde, des acquis ouvriers importants arrachés par et à l’occasion de la libération dont le point de départ est la défaite des armées hitlériennes devant Stalingrad durant l’hiver 1942 / 43.

Le capital n’a jamais accepté cette situation, il l’a toléré ne pouvant faire autrement, et par exemple en France, dès le lendemain de la création de la Sécurité Sociale, il a contrattaqué pour chercher à reprendre ce qu’il avait du concéder. Ainsi la première proposition de modification a été faite dès 1946. Ils sont allés vite ! Et cette modification a été introduite sur le salaire brut. Le salaire brut qui n'existe pas, vous le savez, personne ne le touche et personne ne le verse. Mais on introduit le salaire brut et c'est une première manœuvre. C'est d’ailleurs un ministre qui était communiste, Croisat qui l’entérine.

La crise de 1966.

En 1966 il y a eu un conflit très violent entre les États-Unis et le général De Gaulle sur la question de l'Europe. Le général De Gaulle avait envoyé une délégation à Londres pour participer à la mise en place des travaux de l'Union Européenne ; il avait ordonné à la délégation française de revenir immédiatement, ce qu'elle a fait, parce qu'elle ne respectait pas la souveraineté du pays qu'il présidait, à savoir la France. Le général De Gaulle a estimé que ça ne pouvait pas continuer comme ça. C'était lui le président, ce n'était pas l’européen de service. En 1966 il a tenu trois mois et demi sur cette position. Après plusieurs rencontres avec l'ambassadeur des États-Unis à Paris il a finalement accepté un compromis sur comment les choses allaient se faire au niveau de l'union européenne. Mais il ne voulait pas appliquer un des articles essentiels du traité de Rome de 1957 que je vais vous rappeler. Il s’agit de l’article neuf du traité de 1957 (tous les autres traités qui ont suivi ont développé certains points mais le socle commun c'était celui-là que vous pouvez retrouver dans tous les autres traités ultérieurs). A l'époque il y avait que six pays dans l’UE : Allemagne, France, Italie, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas. L’article neuf paragraphe un chapitre 11 « Instaure une union douanière transnationale constituée entre tous les états appelée communauté européenne. » Le deuxième paragraphe de cet article neuf précise : « la suppression des barrières douanières et de toute taxe de protection des marchandises du marché intérieur concernant les marchandises issues des pays membres et celle de tous les autres pays à l'échelle mondiale ». Le général De Gaulle ne pouvait pas accepter cet article pour une raison simple : Non seulement il était en contradiction avec le programme du CNR mais il était clair que cet article favorisait immédiatement les USA et ce au détriment des autres pays industrialisé dont la France. Le Général De Gaulle venait à peine de sortir du « bourbier » algérien (1962/63) et il attendait bien ne pas avoir à concéder de nouveau reculs de la place politique et économique de la France. Par exemple, l’industrie aéronautique, nationalisée, avait commencé à conquérir une place de premier rang à l’échelle mondiale avec notamment la sortie de La Caravelle, avion de ligne à réaction. Le général De Gaulle, ayant plutôt le sens de la grandeur que de la petitesse considérait que cet article n'était pas à la taille de son costume. Donc il y a eu conflit là-dessus. L'article trois du traité de Rome établit une liste des actions à mener pour l'abolition des obstacles à la libre circulation des personnes des services et des capitaux. Donc, dès 1957, s’inscrit dans un traité, le démantèlement de toutes les prérogatives d'un État-Nation tel qu'il existait dans la période précédente. Et, à partir de 1967, apparaissent des mots nouveaux au fur et à mesure du développement de la mondialisation.

Prenons l’exemple du mot « discrimination ».

Il est dans l'article 67 du Traité de Rome qui « supprime toutes les restrictions aux mouvements des capitaux ainsi que toutes les discriminations de traitement fondées sur la nationalité ». En première lecture, on approuve cette volonté d’égalité des droits entre citoyens de nationalités différentes. Mais il ne s’agit pas de cela. En effet l'article poursuit « interdit tout contrôle d'un État sur le mouvement des capitaux entrants et sortants du territoire national quel que soit son pays d'origine et nul ne peut se prévaloir de son pays d'origine pour l’interdire.» Par cet article, la souveraineté de chaque pays, et la protection par les Etats et gouvernements nationaux de leurs propres capitalistes et patronat doivent laisser la aux investisseurs mondiaux et très précisément aux fonds de pension nord-américains. Ce qui est extraordinaire dans ce traité, c’est que tout l'édifice construit à la libération en France , plus exactement tout ce qui a été mis en œuvre depuis 1945 et pendant 10 ans n'aurait pas pu se faire si le traité de Rome de 1957 avait été signé en 1954 puisque les nationalisations sont interdites, les barrières douanières sont interdites, le contrôle des capitaux est interdit etc. etc. On s'aperçoit que ce traité va entièrement dans le sens des banques. Cela nous donne une clé pour la compréhension des choses. Quand on regarde le bilan de la mondialisation, on peut dire qu'il y a deux phases : avant 1989 et après. Je parle du 30 novembre 1989, c'est-à-dire la chute du mur de Berlin. Je vous renvoie à la publication des échanges téléphoniques entre Helmut Kohl et Bush père. Cet échange a utilisé une ligne téléphonique installée pendant la présidence Kennedy lors de sa venue en 1961 à Berlin. Dans cette transcription des échanges téléphoniques, il apparait que même ces deux chefs politiques importants de l’époque, Bush et Kohl, étaient complètement paniqués. Bush père demande au téléphone à Kohl de regarder par la fenêtre et de lui raconter ce qui se passe alors que président de la première puissance mondiale il dispose de moyens d’informations puissants. Mais les questions se bousculent : « Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi les gens déboulent comme ça ? C'est fou ! Pourquoi ils disloquent le mur ? Et en plus ils veulent une seule Allemagne ! » Et la première demande de Bush à Kohl est : « surtout, contactes vite nos amis, le gouvernement de Gorbatchev, pour lui dire qu’on n’y est pour rien. On n’est pas pour la réunification de l'Allemagne. Et surtout pas de communiqués qui pourraient laisser penser aux Russes que nous sommes d'accord avec ce qui se passe… » Au final, l'URSS s'est quand même disloquée et dès 1991 c'est la prise de pouvoir par Eltsine. Cette première partie, fin 1991, correspond à l'objectif fixé par Nixon dans sa déclaration de 1971. Je vous invite à lire les transcriptions des discussions entre Nixon et Kissinger, dans l'avion de retour de Pékin où Nixon est allé contresigner un accord bilatéral US Chine avec Mao Tse Toung. Compte de ce succès considérable toute l’équipe de Nixon sable le champagne. Henry Kissinger, du camp démocrate et débauché par Nixon, était officiellement l’initiateur de la nouvelle stratégie américaine de multiplication d’accords bilatéraux en lieu et place d’accords multilatéraux. Pourquoi cette stratégie ? Car avec un accord multilatéral, le risque est grand que les USA se retrouvent seul face au monde entier. En fait, Kissinger a été mis en avant pour brouiller les pistes et Nixon rappelle à toute son équipe que c’est lui qui en a eu le premier, l’idée, et il termine dans un éclat de rire général : « et maintenant il faut s’occuper des popof !»

Ne sous-estimons pas la place de l’URSS

qui, malgré la politique de statu quo de ses dirigeants, constitue lors de la guerre du Viet Nam, un point d’appui considérable pour la résistance ce pays à l’agression US, agression qui se terminera par leur débâcle d’avril 1975. Par exemple, le Nord Viet Nam a disposé d’une aviation militaire moderne ainsi que des lanceurs de missiles. Aujourd'hui, quelle est la composition de l'aviation militaire du Vietnam ? L’an dernier le Vietnam a déclaré deux avions dont un défectueux. Parce que ça fait maintenant depuis 1975 que les russes, les ingénieurs russes sont partis de Hanoï avec la caisse à outils! Tout ça pour vous dire que l'URSS était un véritable problème pour les Etats Unis. On ne s’en rend plus compte maintenant mais comme puissance économique, avec des règles différentes, c'était un monstre. Donc Nixon annonce : « il n’y a qu'une manière de faire caner les Popof, c'est le pognon. On les tiendra par les couilles. » Et donc ils se sont engagés dans la guerre des étoiles. Côté US, cela a permis dès le début des années 80 de relancer l’activité économique aux Etats Unis mêmes (électronique, avionique, informatique), côté URSS, les dirigeants de l’URSS, engagés à fond dans cette guerre des étoiles ont vidé les caisses de leur pays. La faillite financière de l’URSS a précipité celle-ci dans son effondrement. Donc à partir de 1989 et de l’effondrement de l’URSS, toute l'Europe de l’Est est ouverte aux capitaux privés. Toutes les branches industrielles de ces pays ont été privatisées, démantelées morceau par morceau, ne laissant en place que quelques unités intégrées dans les multinationales, comme sous-traitants premier et deuxième niveau. Ce fut le cas par exemple, de l’entreprise TUNSGRAM, fabricant d’ampoules électriques, achetée par General Electric et producteur pour celui-ci des ampoules premier prix.

Pour ne pas avoir de concurrence, ils ont détruit l'industrie de tous ces pays-là. Maintenant il n’y a plus rien. Attention c'est un aspect important de la mondialisation. La concurrence entre les multinationales a été elle-même exacerbée. Au passage, rappelons que l’aviation américaine engagée dans les bombardements de la Serbie au nom de la sauvegarde des Croates ont malencontreusement détruit l’usine Peugeot, sa voisine, l’usine Ford a elle été épargnée.

Le bilan de la mondialisation est le même dans tous les pays. Quatre volets communs à tous les pays, privatisation, dérégulation, dérèglementation et endettement:

  • dette des Etats en augmentation à partir des années 1990,
  • entrées fiscales en diminution,
  • transfert sur les couches moyennes de tous les allégements fiscaux concédés aux grandes entreprises. Ainsi en France la TVA représente 50% des entrées fiscales et l’impôt sur les sociétés ne représente plus que 17%. Et la TVA qui la paye ? C'est tout monde, tandis que l'impôt sur la société ce sont les entreprises.
  • installation d’un chômage de masse. En France on atteint officiellement les 10 % selon la définition du B.I.T. Ça fait des millions d'hommes et de femmes, dans chaque pays, qui n'ont pas de travail ! Il y a ceux qui sont inscrits à Pôle Emploi et auxquels se rajoutent « les invisibles » dont on a déjà discuté. Cela fait pratiquement 8,5 millions de gens qui sont privés d'emploi. 8,5 millions entre 26 ans et la fin de la vie professionnelle!
  • généralisation de la précarité avec une date de premier contrat stable type CDI de plus en plus tardive ;
  • apparition de cas de malnutrition
  • cas de personnes exclues de tout accès aux soins. Ça n’existait pas, c'était impossible en France. Maintenant il y a des réunions interministérielles pour savoir comment faire pour faire accéder aux soins ceux qui en ont été exclus.
  • temps partiels imposés.
  • explosion des contrats atypiques comme par exemple le travail de nuit. A part la sidérurgie et les mines, il n’y avait quasiment pas de travail de nuit en France alors que maintenant il concerne 22 % des salariés de l'industrie.
  • quasi-disparition du contrôle horaire de la durée du travail. Cette quasi disparition réalisée par l’instauration de la Loi Aubry permet que les accords d’entreprises dits de réduction du temps de travail ne développent en fait que le volet « aménagement du temps de travail », c’est-à-dire adaptation de la force de travail et de sa présence en fonction de l’évolution du carnet de commandes. Par ce tour de passepasse, la réduction du temps de travail est devenue une source de baisse des coûts.
  • disparition conséquente des heures supplémentaires payées. Cela à cause surtout des mini conventionnels, et on tombe sur nos pieds de syndicalistes, qu'est-ce qu'il a comme caractéristique le mini conventionnel ? C'est qu'il est mensuel. Et depuis les lois Aubry  tous les mini conventionnels doivent être vérifiés par un contrôle annuel. La plus violente attaque de ces dernières années contre les conventions collectives est l’annualisation du temps de travail.
  • Effondrement du pouvoir d’achat.

Du côté du Capital,

la concentration du capital s'est considérablement accélérée avec un bouleversement total de l'organisation du travail ; entreprises éclatées, sous-traitance, délocalisation, séparation des catégories entre zones pour les industries donneuses d’ordre, zones industrielles pour les sous-traitants et zones pour les sièges sociaux. Ces zones étant séparées géographiquement les unes des autres avec arrêt des possibilités de communication entre les couches sociales différentes, étanchéité totale etc. Comme Lénine avait expliqué en 1914 que l’impérialisme était caractérisé par une concentration du capital, on aurait pu penser que celle-ci était achevée. Mais cela s’est énormément accéléré. Il a fallu que les ingénieurs de l'école polytechnique de Zurich fassent un énorme travail pour mettre en évidence l’importance de cette concentration. L'ensemble des sociétés existantes soient 780 000 filiales des sociétés multinationales. En France, il y a 243 entreprises qui donnent des ordres aux 1 900 000 autres. La composition des conseils d’administration de ces 243 concerne 14 personnes qui dirigent donc ces 243 entreprises. La concentration du capital est ahurissante ! 243 grandes entreprises qui rassemblent 4,6 millions de salariés. On trouve ensuite 5000 entreprises qui rassemblent 3 millions de salariés puis 138 000 PME qui en emploient 4 millions et enfin 3,3 millions de microentreprises, c'est-à-dire moins de 10 salariés, qui regroupent 3 millions de salariés.

Revenons au débat dans le mouvement ouvrier sur la question: faut-il présenter des candidats aux élections politiques?

Il n’est pas question à mon sens de limiter aux partis et cercles politiques cette discussion. Pour une raison simple, ce sont les salariés et en premier lieu les militants syndicaux qui seront directement sollicités pour soutenir et appuyer des « solutions politiques » préparées par d’autres. Cette musique-là, on la connait ! C’est celle de la voie parlementaire qui, en chaque circonstance et en chaque pays, nous a conduit à l’échec.

Ayant commencé à militer assez jeune, j'ai entendu l’expression « bien voter » très très souvent. Attention, cette discussion se mène dans un cercle restreint, hors des syndicats, mais c'est nous qui sommes concernés, parce que c'est nous et nos camarades de travail qui seront accusés de la poussée de l’extrême droite.

Cette question nécessite une vraie discussion. Les derniers événements m'ont fait changer d'idée sur un point ; et quand je parle des derniers événements, je parle des dernières mobilisations pour le retrait de la loi travail. Cette loi, c'est le passage de la méthode utilisée dans toute la phase de la déréglementation ouverte en 1975, la dérogation et l'exonération. La dérogation parce que par un travail de termites ils ont supprimé un article par ci, un paragraphe par-là de notre Code du Travail et ça devient d'une telle confusion, que celui-ci s'est mis à gonfler sans qu'il y ait un seul droit de plus ; que des droits en moins. Il y a tellement d'exonérations, tellement de cas particuliers que maintenant il faut être docteur en droit pour s’en sortir. Et d'ailleurs nombreux sont les syndicats qui sont contraints de faire appel à des avocats !

Ils ont voulu passer à l'échelle supérieure, faire une loi qui règle le problème du code du travail une bonne fois pour toute. En supprimant le principe de faveur chaque nouvel accord d'entreprise disloquera encore plus nos droits et fera voler en éclats le contexte, c'est-à-dire le code du travail et les conventions collectives. Mais ça, les salariés l’ont compris, les militants intermédiaires l’ont compris et ce qui est frappant dans les manifestations c'est la ténacité de ces milliers et milliers de militants et de syndiqués qui ne veulent céder sur rien. Là, à chaque fois, qu'il y a une date importante dont la dernière celle du 14 juin, pour qui voulait une démonstration ça a été une sacrée démonstration ! Il y a à chaque fois plus de monde. C’est spectaculaire. Et cela reflète aussi l'exigence de démocratie dont nous sommes porteurs. Le gouvernement d'ailleurs a fait une erreur considérable en voulant interdire les manifestations. Les secrétaires généraux eux-mêmes en maintenant leur appel à manifester pour le 28 juin ont provoqué cette reculade du gouvernement VALLS. Le fait marquant est que l'encadrement de leurs syndicats est profondément pour le maintien de la démocratie, c’est-à-dire que l'encadrement de FO et de la Cgt estime qu’il leur revient de décider de la suite de l’action. Avec l’éclatement du syndicalisme rassemblé, c'est-à-dire l'alliance Cgt/Cfdt, disparait ce type de scénario, la trahison programmée et le passage de la contre reforme par une série de manœuvre. On est maintenant dans la situation où l’ancien dispositif politique d'empêcher les manifestations n'existe plus. L'accord Cfdt/CGT n'existe plus. Avec l'accord FO/Cgt, la CGT a retrouvé sa place des années 20 ; il suffit de regarder l’importance numérique des cortèges Cgt et leur organisation. Dès l'origine, FO est plus faible mais il y a aussi le fait que de nombreux salariés considèrent qu’il y a un tronc commun avec la CGT de 1895, avec deux branches : la branche Cgt et la branche FO. C’est vrai aussi, mais il y a une branche qui est le prolongement du tronc et une branche qui sort du tronc. Et compte tenu des distanciations d'avec le parti communiste, c'est possible. Ce qui veut dire qu'aujourd'hui, la prolongation de l'unité FO/CGT passe par des prises de position des organisations syndicales dignes de ce nom et des gros syndicats pour une plate-forme abordant les problèmes sociaux.

Voilà je voulais terminer là-dessus.

Je considère que les besoins fondamentaux de l’homme : se nourrir, se vêtir, se loger, avoir accès aux soins et avoir accès à l'instruction, ces cinq besoins fondamentaux doivent être réglés par ceux qui savent de quoi ils parlent avec des propositions précises pour les régler. Quant aux politiques, ils s’occuperont de nous faire des projets d'organisation de la société sur la base de la satisfaction de ces besoins fondamentaux. Et que cette question-là devienne un seuil : « vous avez quelque chose à dire sur les besoins fondamentaux ? Qu'est-ce que vous proposez pour les garantir ? On ne peut pas continuer à accepter cette régression. On arrive, dans ce pays, à des cas de malnutrition. IL faut dire stop ? » Vous avez peut être vu la bataille engagée par Médecins du monde sur les médicaments : « Depuis quelques années le prix des médicaments est en augmentation constante. Alors que le coût de traitement du cancer représentait environ 21 milliards d'euros en 2004 il atteint plus de 70 milliards d'euros en 2014. Si les anticancéreux sont aujourd'hui remboursés le seront-ils demain ? Les firmes pharmaceutiques ont pratiquement obtenu la liberté des prix dans tous les pays industrialisés. En général les autorités chargées de déterminer le prix des médicaments acceptent des prix proches de ceux exigées par les laboratoires. Ils peuvent donc choisir de vendre des médicaments à des prix inabordables au risque de mettre en péril notre système de santé solidaire. L'accès à certains traitements est déjà menacé en France. Le Sofobuvic, traitement permettant la guérison complète de l'hépatite C, commercialisé à 41 000 € pour trois mois alors que son coût de fabrication est évalué à une centaine d'euros ». La différence entre 41 000 € et 100 euros c'est la marge, la dictature de la finance ou la dictature de la marge. « En raison de son prix prohibitif, les pouvoirs publics ont établi des critères de sélection et réservent le traitement aux personnes à des stades avancés de la maladie ». C'est intelligent parce qu'on aurait pu prendre l'inverse : puisque vous êtes à peine au début de la maladie, autant vous en sortir tout de suite donc on vous donne le médicament et puis, ceux qui sont trop atteints, on les jette ! Mais cela aurait fait inhumain. Là, on se penche sur les plus agonisants, cela coutera moins cher…

Intervenant : Je dis, à l'inverse que ça leur rapportera davantage !

Denis Langlet : Ainsi, sur cette question : qui connaît mieux que les employés des laboratoires pharmaceutiques toutes ces opérations ? Qui dans ce domaine peut établir une plate-forme pour mettre fin à ce scandale ? Qui d'autre qu'une conférence nationale des délégués de toute l'industrie pharmaceutique de ce pays, sous la responsabilité des confédérations syndicales, Cgt, FO ? Une conférence nationale des partis politiques peut-elle faire ça ? Non. Qui d'autres que les producteurs de prunes, qui ne sont syndiqués ni à la CGT ni à FO, ni d’ailleurs au syndicat des agriculteurs, sont tout à fait capables de s’organiser pour gérer et réguler la production des prunes en faisant que chacun puisse vivre normalement de son travail ? C’est bien aux syndicats de faire ce travail alors qu’ils ont été relégués pendant des années au rang de porteurs de tracts, de colleurs d'affiches des grands politiques de ce monde. Non, il faut rétablir les choses. A partir de là, chacun fera ce qu'il veut, mais, nous, on peut et on doit faire des propositions.

En 1934, le comité confédéral national, de la CGT des 17 et 18 mars a discuté ouvertement d'un plan de redressement de la France, plan en 12 points avec nationalisations etc... Ce texte est intéressant même si, comme il a été rédigé à la fois par des honnêtes et des traitres, il y a des paragraphes qui ressemblent à des concepts insaisissables où l’on se demande : « qu'est-ce qu’ils proposent ?». L’objectif doit être de susciter la discussion sur la réalité des enjeux sous des formes concrètes de mobilisation sur une plate-forme partant de la nécessité de satisfaire les cinq priorités fondamentales, pour rétablir l'égalité réelle en droit de chacun dont la loi de 1905 sur la laïcité de l'État et l'école, le rétablissement de la loi du 11 février 1950 sur la liberté de négociation, la loi de 1884 sur les syndicats et la loi de 1901 sur le droit de fonder des associations. Ce sont d’ailleurs les fondements de la République. Garantir la sécurité de tous les citoyens de ce pays en prenant la mesure élémentaire d’arrêt des bombardements des pays, d’arrêt de toute intervention militaire. Rappelons qu’en 1936, la première des trahisons du gouvernement Blum Thorez a été la participation à l’isolement de la révolution espagnole.

 

 

Le Débat

 

 

Intervenant 1 : Confucius a dit : « Lorsque les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté, je ne peux rien pour ceux qui ne se posent pas de question. » J’avais fait un papier sur « Repenser les mots pour repenser la Démocratie ». Il pourrait être retravaillé et mis sur le site de l’IESE. Je parlais de l’historienne Michèle Riot-Sarcey qui parlait de liberté. Entre parenthèses, elle était sur France Inter ce midi, avec Laure Adler. C’était passionnant et on doit pouvoir écouter cette émission en podcast. Elle disait : « Notre impuissance à agir vient de ce que nous avons oublié le sens du mot Liberté mais aussi les mots République, Socialisme, Communisme, des mots qui permettaient d’agir et qui ont perdu de leur substance. »

Des mots ont aussi disparu.

George Orwell et la Novlangue dont le principe est « Plus on diminue le nombre de mots d’une langue, plus on diminue le nombre de concepts avec lesquels on peut réfléchi, plus on réduit la finesse du langage, moins les gens sont capables de réfléchir, plus ils raisonnent à l’affect. La mauvaise maîtrise de la langue rend ainsi les gens stupides et dépendants, ils deviennent des sujets aisément manipulables. »

En regardant les « Conférences gesticulées » de Franck Lepage, il s’agit d’une éducation populaire qu’on peut trouver sur internet, il cite Marcus : «En quelques décennies, a disparu toute possibilité de nommer négativement le capitalisme. Et, sans mot négatif, on ne peut plus penser la contradiction. »

Quelques exemples comme le mot « Ouvrier ».

On a d’ailleurs eu ce débat lorsqu’on cherchait le nom de l’Institut. Est-ce qu’on met le mot ouvrier ou pas ? On ne l’a pas mis dans le titre mais il est dans les statuts.

Intervenant 2 : Dans les jugements de prud’hommes, je suis déléguée ouvrier. C’est un mot que j’apprécie énormément et qui a été heureusement gardé dans cette institution.

Intervenant 1 : J’ai fait un rappel historique. « Le pauvre est responsable de sa pauvreté. » En 1840, lors des débats sur l’assistance aux plus démunis, Eugène Buret, professeur d’économie politique et auteur de « La misère des classes laborieuses en France et en Angleterre », écrit : « Il apparaît plus juste de faire de la misère un châtiment mérité qu’une aveugle méprise de la destinée. » Extraordinaire !

Le mot « hiérarchie » a disparu des manuels de management. Le nouveau mot c’est « projet ». Et c’est mieux si c’est le même projet que celui de la direction !

Intervenant 1: Christophe Dejours, psychanalyste de la santé au conservatoire des arts et métiers dit : « L’évaluation est devenue la modalité de la domination. »

Disparition du conflit avec la disparition des mots négatifs : « blocage des salaires » devient « désinflation compétitive » ; « l’égalité des chances » instaurait le Contrat Première Embauche pour une période de 2 ans. Y a-t-il égalité ou faut-il compter sur la chance ? Le demandeur d’emploi devient « prospecteur d’emploi ». On ne parle plus de « plans de licenciements » mais de « plans de sauvegarde de l’emploi ». Etc… Sarkozy avait parlé de « croissance négative » pour ne pas dire « récession. »

Intervenant 3 : Il n’a pas dit que ça !

Intervenant 1: La « réduction tendancielle de la hausse du chômage » ; traduction : comment inverser la courbe en retournant la feuille !

Sur la loi Macron et le dialogue social, quand le dialogue n’est pas possible, il reste le 49.3.

Cette loi est prévue pour « débloquer, assouplir, moderniser, casser les corporatismes pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. »

Il y a aussi les mots qui discréditent comme « l’Etat Providence ».

Et savez-vous quand on rencontre pour la première fois le « trou abyssal de la sécurité sociale » ? Dès 1947 ! Certains avaient vraiment eu du mal à le digérer !

Intervenant 3 : Par rapport à ton exposé, sur l’importance de la mondialisation, tu as donné une importance nouvelle, renouvelée et considérable au rôle du syndicat pour aller dans le sens de l’abolition de la propriété privée. En même temps, tu as aussi abordé la question de la dislocation des Partis, notamment les Partis institutionnels mais pas que. Y compris ceux qui n’ont pas approché le pouvoir de près ou de loin participent de cette dislocation. On est dans cette situation qu’on vit en ce moment dans laquelle on n’a pas beaucoup d’options qui se présentent. Il y a ce que tu préconises : l’option du syndicat. Pour d’autres c’est la question d’un parti ou d’un cartel de partis renouvelés, ou d’un personnage seul qui se présente au pouvoir sans qu’il se caractérise lui-même de Bonaparte. Il me semble que ton exposé final nécessiterait, à partir de maintenant, un nouvel exposé qui rassemblerait l’ensemble de ces éléments pour voir quelles pistes on peut effectivement donner aux syndicalistes notamment, puisqu’ils ont un rôle historique essentiel à jouer. Avec mon expérience personnelle, je pense qu’on est dans une situation où il faut prendre du recul par rapport à la question des partis et des syndicats, et apprécier la chose suivante : le prolongement de l’action du syndicat, dans la façon dont il fonctionne, dans le pouvoir qu’il peut exercer, ne passe pas par le chemin dans lequel passent les partis ou les Bonaparte. À savoir que les partis sont propulsés au pouvoir dans le cadre du parlementarisme et, à partir de là, entre le parti et les masses qui l’ont élu, il y a un appareil d’Etat au pouvoir qui n’est jamais de gauche, même si les partis qui sont censés le dominer se réclament de la gauche.

Les syndicats, dans leur secteur, sont confrontés à la question de la préservation et du développement des droits acquis ou à acquérir, du savoir, du savoir-faire et ils sont confrontés à une direction qui marche de concert avec le gouvernement, les lobbies c’est-à-dire le capital financier qui se cache derrière les organismes parlementaires et derrière le gouvernement. Aujourd’hui, Hollande se trouve dans une situation où cacher le fait qu’il agit directement pour l’oligarchie financière devient difficile.

Le bilan c’est que les partis qui accèdent au pouvoir dans le cadre du parlementarisme, qu’ils soient socialistes, communistes, ont trahis. Parce que c’est une machine qui ne permet pas de satisfaire les besoins. Il faut rompre avec cela, il faut rompre avec la machine d’Etat, ce pouvoir centralisé. Il faut le faire par le biais du syndicat. Il s’agit de définir le rôle du syndicat. C’est un débat qui a été abordé à l’aube du syndicalisme et abandonné rapidement dans la mesure où c’est le parlementarisme qui a pris rapidement son essor. La France occupe une position particulière avec le syndicalisme, qui n’est pas le même en Europe. Si vous prenez l’exemple de l’Angleterre avec ce qui vient de se passer, les partis de droite (Conservative Party, United Kingdom Independence Party, British National Party) viennent d’être défaits par une colère du peuple qui s’est exprimée dans le referendum. Ceci est paradoxal : ils ont renversé le libéralisme européen en s’appuyant sur des partis populistes (cf. UKIP), qui a fondé sa campagne sur le mensonge, le truquage, la peur de l’immigration. Les principaux syndicats et partis de gauche britanniques était sur la position du remain (rester dans l’UE) sur un truc simple : les militants ouvriers voulaient rester en Europe. En effet, depuis Margaret Thatcher qui a tellement foutu en l’air les droits ouvriers que ces derniers pensent que l’Europe leur donnera plus de droits que ce qu’il ne peuvent obtenir en Grande-Bretagne. Quant à dire qu’il fallait voter pour rester dans l’UE, sous le prétexte que ce serait laisser les acquis sociaux, c’est une vision différente du syndicalisme français, qui considère que l’UE menace les droits des travailleurs.

Résultats du referendum sur le Brexit dans les bastions ouvriers : 60-70%, dans des circonscriptions majoritairement pro-Labour. Et ce, malgré les consignes du parti, pro-UE. Ce qu’il faut en retenir, c’est que la droite est divisée et affaiblie en Angleterre.

Intervenant 4 : Cela peut passer par le retour dans le règlement intérieur du syndicat comme c’était le cas avant le mandat de Blair, c’est-à-dire la suprématie du mandat syndical sur le mandat politique. Avant, les députés étaient aux ordres des comités de grèves (écrit dans les statuts des syndicats) et pas l’inverse. Il y a donc eu, avec le Brexit, des consignes contradictoires : le parti Labour appelle à voter contre, les délégués syndicaux pour.

Intervenant 3 : Il faut rappeler également que lors d’un référendum les citoyens ne répondent pas forcément à la question qui leur est posée. Ici, le Brexit apparaissait comme un moyen de rejeter les gouvernants.

Intervenant 1: Hollande n’a pas répondu aux demandes de ses électeurs, mais a suivi les diktats de la finance et de l’UE. Je vous lis un extrait d’un rapport de la Commission Européenne de Juin 2014 : « Une attention particulière devrait être accordée aux dispositions réglementaires du code du travail ou aux règles comptables liées à des seuils spécifiques qui entravent la croissance des entreprises françaises ».

Un autre extrait de cette même commission européenne le 14 Juillet 2015 : « [La Commission Européenne] RECOMMANDE que la France s'attache, au cours de la période 2015-2016, à : (...) réformer le droit du travail afin d'inciter davantage les employeurs à embaucher en contrats à durée indéterminée; faciliter, aux niveaux des entreprises et des branches, les dérogations aux dispositions juridiques générales, notamment en ce qui concerne l'organisation du temps de travail; réformer la loi portant création des accords de maintien de l'emploi d'ici à la fin de 2015 en vue d'accroître leur utilisation par les entreprises; entreprendre, en concertation avec les partenaires sociaux et conformément aux pratiques nationales, une réforme du système d'assurance chômage afin d'en rétablir la soutenabilité budgétaire et d'encourager davantage le retour au travail.

En février 2016 : La commission se félicite que « l’adoption et de la mise en œuvre de la réforme annoncée du code du travail restent déterminante pour faciliter les dérogations aux dispositions juridiques générales »

La loi Travail suit donc de très près les recommandations de la Commission Européenne, notamment la facilitation de l’embauche en CDD, la possibilité de déroger aux 35 heures via la fin de la hiérarchie des normes (mais pas pour les règles européennes qui restent au-dessus des lois nationales). Pour l’Europe, les salariés français gagnent trop bien leur vie : « la récente modération salariale, dans un contexte de faible inflation et de chômage élevé, demeure insuffisante pour permettre aux pays de renouer avec la compétitivité compte tenu du ralentissement de la croissance de la productivité ».

Selon le commissaire européen chargé du dialogue social, Vladis Dombrowski, « surveille avec attention le débat politique » autour de la loi Travail. Ils ne « suivent pas », ils « surveillent » !

On retrouve les mêmes recommandations dans les rapports établis par le FMI, la Banque Mondiale, l’OCDE.

Intervenant 4 : En France, on négocie le taux horaire de travail. À partir du moment où on ne fonde plus le salaire sur le taux horaire, on bascule sur un « salaire de solidarité », sans aucune référence. C’est l’esclavage ! C’est ce qui est discuté en Allemagne. C’est aussi ce que représentent les forfaits jours, le taux horaire réel n’ayant rien à voir avec le nombre d’heures travaillées.

Intervenant 5 : Et aussi le débat récurrent sur le travail, contrepartie des indemnités de Pôle Emploi. Si on vous donne 500/700 €, il faut quand même que vous travailliez un minimum d’heures. Si on peut faire un peu de dumping sur la main d’œuvre, on ne s’en prive pas.

Intervenant 6 : Dans le cadre de cette discussion sur la mondialisation, il faut évoquer la création de l’espace Schengen avec la libéralisation de la circulation des capitaux, des biens et des personnels. C’est le produit d’un mécontentement des chauffeurs routiers obligés de payer des taxes à chaque passage sur un nouveau territoire. Il n’y a pas que des pays membres de l’UE (Islande, Liechtenstein, Norvège, Suisse). Il sera utile d’informer également sur ce point. Lors de la mise ne place du traité de Maastricht en 1992 le Conseil d’Etat, en France, a pris des décisions allant à l’encontre des engagements de la France en matière de traités internationaux – cf. Applicabilité et supériorité des directives communautaires (CE, ass., 28/02/1992, SA Rothmans International France et SA Philip Morris France). Trois décisions du conseil d’Etat prises en 1991-1992 contredisent les règles liées aux traités internationaux.

Il faut aussi évoquer le projet d’accord transatlantique en discussion depuis de nombreuses années et ralenti suite aux problèmes de l’UE. Le début de « dislocation » de l’UE va-t-il faciliter ou, au contraire, affaiblir les traités à venir ?

Intervenant 7 : Le CETA et le TAFTA sont des traités bilatéraux alors que le TISA est multilatéral, c’est à dire qu’il y a 57 pays qui sont en cours de négociation et en dehors de toute autre configuration, à la fois sous l’égide de l’OMC et indépendamment de l’OMC. Cela risque d’aboutir, malgré le retrait d’un pays, l’Uruguay. Il faut le mettre dans notre combat au même titre que celui que nous avons mené contre l’AMI , l’AGCS.

Intervenant 5: Je voudrais faire une petite réflexion sous l’angle sémantique et juridique sur le mot « discrimination », car c’est un mot qui, par son étymologie, ressort du champ social. C'est-à-dire, par exemple, la discrimination entre le véritable citoyen et le citoyen de seconde zone, l’esclave, la femme ; entre celui qui est riche et celui qui est pauvre. C’est un mot qui sert à réguler la distribution des richesses et des honneurs au sein de la société. Simplement, on a souhaité utiliser ce mot dans le traité de Rome puis dans les traités ultérieurs pour appréhender la manière dont allaient circuler les marchandises, les capitaux, les biens et les services. C’est donc un mot négatif, un mot qui n’a pas vocation à s’appliquer à ce type de bien qui a été utilisé, puisqu’au lieu de dire, « l’argent pourra circuler librement et de manière absolue, » on dit : « les Etats ne devront pas opérer de discrimination entre leurs marchandises nationales et les autres marchandises ». Pour continuer dans les choses « rigolotes », par exemple il y avait un autre arrêt qui s’appelait les Cassis de Dijon. Un article de la réglementation européenne prévoyait qu’on pouvait faire des exceptions. On avait fait une exception pour le vin et cela arrangeait aussi les allemands pour lesquels on avait fait une exception pour la bière. Donc en gros, il y avait d’un côté les liqueurs et alcools forts et de l’autre côté, le vin et la bière. Mais à un moment, le syndicat des Cassis de Dijon a dit : « oui, mais nous, on est entre 16° et 18°, alors de quel côté on est ? » Ça gênait tout le monde et ça montrait bien l’absurdité de ce genre de réglementation où on veut tout libérer et en fait chacun vient échanger ses petits îlots de résistance et de protectionnisme qui ne disent pas leur nom. Mais cette absurdité montre bien qu’on ne peut pas mettre sur le même plan la liberté de circulation des personnes et celle des biens. Il y a eu surtout une grande escroquerie, puisqu’on a dit « il va y avoir un grand vent de liberté, les européens vont pouvoir s’établir dans les pays voisins, vont pouvoir y travailler, vont pouvoir y créer une vaste communauté politique, vont pouvoir partager les mêmes rêves, les mêmes envies etc. » En fait, que s’est-il passé ? Et bien massivement, les français sont restés en France, les anglais sont restés en Angleterre, les allemands sont restés en Allemagne, et en revanche, nous avons bien reçu les biens de toute l’Europe et du monde. On les a vus déferler sur nos marchés et effectivement, l’économie est devenue relativement interdépendante. Ça, c’est vrai, si on prend les chiffres, on ne peut pas les truquer. 60 à 70% de la production française est imbriquée dans le marché commun. Mais à qui cela profite-t-il ? Est-ce aux PME ? Aux petits artisans ? Aux TPE ? Ou, avant tout, est ce que cela profite aux grandes entreprises ? Aux fameuses FMN dont on a parlé et aux quelques sous-traitants qui travaillent pour eux ?

Parce que ces sous-traitants-là, eux aussi, on leur met la pression. On leur dit : « mais alors vous, vous êtes contents d’aller exporter en Allemagne, sur le reste du marché commun ? » Ils sont bien obligés de dire oui, car ils n’ont pas la liberté de choisir où ils vont exporter.

Ils exportent, si leur entreprise donneuse d’ordre réussit à obtenir le marché, et si le marché est perdu, c’est à eux qu’on demande de fermer boutique. Donc, cette assimilation-là n’a jamais bénéficié aux personnes. Sur les biens, je pense qu’elle a été surtout facteur d’un dumping par la chasse aux coûts et à la réduction continuelle des prix. Je l’ai vécu quand j’ai travaillé pour des entreprises équipementières de l’automobile. C’était écrit noir sur blanc entre l’équipementier de rang 1 et l’équipementier de rang 2 : « chaque année vous nous ferez une réduction de 2% ou 3% ou x%, mais vous vous engagez. Si l’année prochaine vous n’avez pas de baisse à proposer, ce n’est même pas la peine de vous asseoir à la table de négociation » !

Intervenant 7 : Et c’est vrai dans tous les secteurs de la production.

Intervenant 4 : C’est la seule manière pour les multinationales de capter une fraction de la marge, des bénéfices du sous-traitant. Aucune entreprise ne peut autrement faire des bénéfices à deux chiffres.

Intervenant 1: Valeo a demandé -5% à tous ses fournisseurs. Ma boite en faisait partie. Sauf, que le marchand de rondelles a dit : « j’arrête de vous fournir, parce que ma marge n’est pas de 5%. »

Intervenant 5 : Souvent, ces réductions de marge étaient couplées avec une demande d’augmentation de la qualité. Il fallait augmenter des deux côtés. Alors évidemment après, la libération des services et des capitaux, les services, on n’y pense pas toujours, mais c’est aussi par exemple, qu’une entreprise irlandaise puisse proposer un contrat d’assurance à un consommateur français en lui imposant la loi irlandaise. Ce qui veut dire qu’en cas de problème, s’il n’a pas bien lu les bonnes clauses, il est lésé. Et tout ce système de libéralisation des capitaux qui je pense était peu visible pour les citoyens, et bien finalement, ça a abouti à une accélération de ce phénomène de mondialisation, d’éclatement et de facilitation pour ces entreprises de segmenter leur activité selon les pays et de les déplacer le plus vite possible au gré des réactions des décideurs politiques.

Intervenant 3: D’où la nécessité, pour les multinationales d’éclater le code du travail afin de faire travailler dans des conditions dégradées de permettre de découpler le temps de travail du coût horaire.

Intervenant 8: Je reviens sur l’exposé que tu as fait, à partir de tes recherches et démontré que le syndicat à la fin du 19ème siècle avait des prises de position politiques, et qu’il était même porteur de propositions. Donc, à la fin de ton exposé, tu reviens là-dessus, mais là où je ne comprends pas, c’est au niveau de la méthode. Tu dis bien à un moment : c’est « Médecins du Monde » qui va expliquer ce qui se passe avec les médicaments et c’est à chaque corporation de dire ce qu’elle a à faire. Alors, pourquoi, tu nous proposes un programme tout fait ? Je pense que dans la démarche, les gens n’ont pas forcément les moyens de savoir ce qu’il faut penser sur l’économie. Par contre quand tu abordes les cinq points, il faut se loger, se nourrir, se soigner s’instruire et avoir un travail, cela, ils peuvent le prendre en mains. Il y a quelque chose qui ne me plait pas dans cette démarche sur le programme.

Intervenant 9: Je trouve très bien tous les éléments qui ont été donnés. Je suis d’accord pour que ça fasse l’objet d’une retranscription. Je voulais revenir sur l’actualité, sur la loi travail, car elle s’inscrit dans le point « perspectives » de l’ordre du jour. Quelles perspectives ? C’est la question que se posent nombre de travailleurs depuis quatre mois maintenant. Le fait est que cette mobilisation n’a pas changé de nature, mais malgré tout, la manifestation du 14 juin était différente des autres parce que ce n’était plus seulement une mobilisation de militants et de cadres syndicaux qui, sont capables d’être dans la rue financièrement parlant, parce qu’ils sont déchargés ou pour toute autre série de choses. On a vu des salariés, ou des salariés privés d’emploi, mais là, pour le coup, c’était une vraie manifestation de la classe ouvrière, en nombre et qui représentait ça. Et les discussions qui ont été permises par le fait que ça ne démarrait pas (discussion longue, puisque ça a duré quatre heures !), aussi bien dans les cafés que dans la rue, le souci des manifestants, c’est ce dont on discute ce soir. C’est à dire, quelle représentation politique pour donner satisfaction à nos besoins ? Donc je pense qu’il y a une claire conscience que le pouvoir aujourd’hui, le pouvoir politique, l’appareil d’Etat est au service d’un système économique qui s’incarne dans l’Union Européenne. Et pour moi, le Brexit, c’est l’opinion qui dit « stop à ça »’. Maintenant, on n’a pas l’appareil d’Etat clef en main à substituer et qui, « ’hop demain », met en place la réponse aux besoins des peuples tout de suite. C’est cette recherche-là dans laquelle nous nous inscrivons.

Intervenant 10 : Quelques mots, d’abord, pour aller dans le sens d’Hélène et dire que cette discussion qui je pense a bien été ouverte par Denis, avec des aspects novateurs, avec des propositions qui nous font réagir et qui sont intéressantes parce qu’il y a cette recherche dans le mouvement social. Et je dois dire que j’ai entendu l’émission dont a parlé Intervenant 1 tout à l’heure. Et c’était la même recherche, de la part de cette historienne : Michèle Riot-Sarcey. Je me suis arrêté sur le bord de l’autoroute, pour noter une expression. Elle disait une chose très juste : alors qu’en France, nous sommes tous formellement égaux en droit depuis la Révolution française, tout le monde n’a pas les mêmes pouvoirs pour faire valoir ses droits. Et cela produit les différences essentielles que nous constatons quotidiennement. C’est une notion très importante, il n’y a pas l’égalité réelle des droits. En écoutant la discussion entre nous, j’ai fait le lien entre cette question et la représentativité politique à laquelle nous sommes habitués depuis la 3ème République et que laquelle pèse bien des interrogations. On élit des gens qui sont censés représenter le peuple. En fait de quoi s’aperçoit-on ? On a les mêmes droits, mais ceux qui sont élus ont ensuite des pouvoirs supérieurs. En tant qu’élus, ils ont le pouvoir de décider, et le peuple votant n’a que le pouvoir d’attendre pour constater si tout va dans le bon sens et de compter les points ! En définitive, c’est une question centrale, essentielle et décisive. Denis faisait une proposition : introduire le tirage au sort par exemple. C’est très novateur dans un pays comme la France, la notion de tirage au sort.

Intervenant 9 : Le tirage sort est en vigueur pour les jurys d’Assises !

Intervenant 10 : Et ce n’est pas rien ! Et cette idée même si elle peut a priori passer pour une farce d’hurluberlu, avec la faillite de la représentativité politique et l’abime creusé entre les élus et les électeurs, mérite d’être examinée.

Il faut aussi avoir conscience que notre discussion, les propositions qu’on fait, s’inscrivent dans cette recherche et qui n’est pas seulement française.

Le deuxième aspect, concerne les outils politiques que la mondialisation crée à son service et sur lesquels Denis a donné quelques éléments. 1971, comment ils ont réorganisé le système monétaire économique au niveau mondial, qui a restructuré, redonné à l’économie capitaliste de nouvelles bases. Et puis, il y a le fait que le capitalisme porte en lui-même cette tendance vers les monopoles. Lorsqu’on parle de la guerre des classes, on voit plutôt la guerre entre les exploiteurs et les exploités. Mais il y a aussi une guerre entre les exploiteurs, entre le patron de PME ou de TPE, et le patron de multinationale, (les quatorze familles dont parlait Denis), il y a des différences astronomiques et des intérêts totalement divergents entre eux. Donc, la guerre de classe, elle est aussi à ce niveau-là.

A mon sens, on a raison d’insister sur la nécessité de partir des cinq besoins fondamentaux. Peut-être y en a-t-il un peu plus, je ne sais pas… les questions de la paix, de la sécurité, des libertés etc., mais en tous cas partir des besoins humains fondamentaux. Partir de là, c’est considérer que la société est constituée d’êtres humains, pas de « consommateurs ». Pour l’Union Européenne qui ne reconnait que l’économie capitaliste, l’individu est un consommateur et rien d’autre. Il n’est pas considéré comme citoyen. Or nous, ce qui nous intéresse, c’est le citoyen, avec ses droits et ses devoirs etc., le citoyen et l’être humain. Sous cet angle, la force des acquis sociaux qui ont été réalisés en France est énorme. On pense bien sûr à la conquête de la sécurité sociale, essentielle pour le droit aux soins. Mais je voudrai insister sur la conquête de l’école, de l’instruction qui est un acquis antérieur. Notamment sur les principes fondamentaux de gratuité et d’obligation. L’instruction est encore dispensée essentiellement par des organismes gouvernementaux, même si la loi Debré détourne depuis 1959 des milliards d’euros de financement public vers les écoles privées. L’essentiel est encore dispensé par des fonctionnaires d’Etat. Tout cela est totalement antinomique aux monopoles exigés par la mondialisation et aux dispositions de l’Europe qui en 1992, dans le traité de Maastricht a décidé que tout doit être livré à la « concurrence libre et non faussée », c'est-à-dire à la privatisation. On voit que, pour l’essentiel ces conquêtes que sont l’instruction et la Sécurité sociale, échappent encore à cette rapacité et perdurent comme autant de secteurs socialisés.

Sur les propositions de Denis et de toutes celles qui ont été faites ici, je pense qu’il faudrait les reprendre, les lister pour les mettre en annexe du compte rendu qui sera fait de cette réunion. .

Si nous pouvons contribuer à la construction d’une base de plateforme, elle doit partir des cinq besoins fondamentaux et être présentée comme une contribution. Car, pour aller dans le sens de Françoise, il ne faut pas que ce soit « l’institut a fait une petite réunion, a sorti un programme que vous n’avez plus qu’à appliquer ! » Ce serait l’inverse de ce que nous dénonçons et n’aurait aucun intérêt pour personne. En évitant cet écueil, nous serons certainement utiles.

Intervenant 2: J’ai beaucoup apprécié, avec toute l’amitié que je te porte, je me dis que je suis d’une part à la retraite, et que d’autre part, je n’ai pas souvent l’occasion d’entendre d’autres idées. Les gens qui viennent me voir, sur le plan syndical, ce sont des gens qui… je ne dis pas qu’ils s’en foutent, du syndicalisme, mais ils trouvent qu’on ne sert à rien, sinon, à les défendre devant les tribunaux quand ils sont dans la mouscaille. On croirait que nous sommes un petit peu éloignés, bien que j’apprécie la discussion que nous avons, ce n’est pas ce qui est en cause, mais de ce que je vis, lorsque je reçois les gens, des sans papier, des gens dans les difficultés… Et je côtoie un monde qui n’a rien à voir, même avec ceux que tu as rencontrés Intervenant 1. Ce sont à leur manière, des invisibles, et je n’ai pas de solution à proposer, bien entendu, parce que je ne suis pas sainte Anne-Marie, mais je trouve que c’est difficile de trouver le moyen d’amener toute cette population qui s’enfonce, et même qui en a marre du syndicalisme, (il faut entendre les discussions). Je leur dis : regardez-moi, je suis là pour vous défendre… mais je suis un être un peu à part ? Et j’ajoute, histoire de terminer sur quelque chose d’un peu drôle. Même les musulmans, pour certains qui se font défendre par une femme. On a eu une discussion là aussi, parce qu’il y en a qui gardent leur femme à la maison et qui viennent nous voir et qui me serrent la main. Ils ne sont pas anti-français. C’est bien simple, je suis en admiration devant les sans papier. De leur honnêteté, de leur goût du travail etc. mais ça ne veut pas dire que je gagne tous les procès, bien au contraire, ce serait trop beau… Donc, mon gros problème, c’est, comment les atteindre et comment leur faire comprendre que nous ne sommes pas là uniquement pour les défendre devant les prud’hommes.

Intervenant 7 : Juste une petite anecdote que je voudrais faire à propos d’une société. C’est une société dans laquelle il y a 4 manœuvres et dix chauffeurs poids lourd, dans le ramassage et le traitement des déchets.

Cette société-là, fait valider le protocole. J’avais réussi à avoir le contact avec deux ou trois salariés. On présente la liste syndicale pour le premier tour. Donc il fallait un titulaire, un suppléant. Je n’avais réussi à ce qu’un seul accepte de se présenter. A partir du moment où son nom a été affiché, présenté par un syndicat, la CFDT, il y a d’autres salariés qui sont venus, c’était début mai, pour lui dire : « j’espère que tu ne te présentes pas pour foutre la merde.. »

Denis Langlet : La discussion est simple. Il faut réinstaurer le droit syndical, mais avec la liberté totale. Ce qui veut dire qu’à aucun moment un délégué syndical mandaté ne peut se retrouver dans une relation de subordination par rapport à son interlocuteur. Et je suis pour la reprise de la position de la CGT en 1936, c’est-à-dire contre l’élection des délégués du personnel dans les entreprises, parce que tous les gars sont dans une relation de subordination par rapport à leur patron, et, quand ils se présentent à des élections professionnelles comme candidats, ils sont pris par les patrons et ils sont l’objet de chantage et de pressions. Et je suis pour le délégué du personnel, entreprise par entreprise, désigné par le syndicat local et pas par les électeurs eux-mêmes qui sont des exploités et qui ne peuvent que transposer cette exploitation. C’est clair, c’est net, je ne suis pas pour la reconnaissance du fait syndical, je suis pour la reconnaissance du syndicat. Ces gens-là sont extraordinaires : ils proclament nous sommes prêts à reconnaitre le fait syndical, c’est à, dire l’activité du syndicat à condition que celui-ci change sa structure et pourquoi pas ses revendications. Pour ce qui me concerne, ça fait cinq ans que je m’occupe d’une Union locale.

Tous les travailleurs ont besoin de délégués. Les travailleurs savent qu’il est parfois difficile de trouver un délégué disponible. C’est un problème institutionnel. Dans toutes les entreprises, hormis les établissements des grands groupes, dès qu’un salarié se propose ou manifeste sa volonté de rejoindre le syndicat, de s’y engager jusqu’à y compris devenir délégué du personnel est immédiatement l’objet de pressions et de chantage de la part de son employeur au point que ; dans ce pays, la majorité de ces salariés perdent leur travail, licenciés par leur employeur.

Par chance, mon entreprise nationalisée a été vendue aux américains. Et je vais vous dire comment ça s’est passé. Le secrétaire général de la fédération de la métallurgie dont j’étais membre, m’a invité dans son bureau, et il me dit : ‘’ écoute --Denis, maintenant que tu es américain, je t’informe que je ne m’occupe plus de toi. »

-Je lui ai demandé, mais pourquoi ? On s’entend bien…

-Mais, il ne s’agit pas de ça…, moi je ne m’occupe que des entreprises dont l’employeur est sur le territoire national…

Je suis devenu représentant de la fédération dans ce groupe américain. Je suis allé deux fois à New York. J’ai fait ce que j’avais à faire là-bas.

Le patronat à l’échelle internationale a utilisé les institutions pour transformer le syndicat en autre chose que ce qu’il était au départ. Il faut le dire.

Qu’avons-nous constaté dans les manifestations contre la loi travail ? La quasi disparition des cortèges d’entreprise. Pourquoi ? Depuis des années l’offensive contre les syndicats et contre les acquis ouvriers et pour disloquer ceux-ci, s’est menée en privilégiant le terrain de l’entreprise contre l’intérêt commun à tous les salariés. Combien de fois n’avons-nous pas entendu un employeur se plaindre des lois sociales et ouvertement revendiquer un régime particulier pour son entreprise. Notons qu’ainsi le patronat a obtenu beaucoup de flexibilité par l’accumulation successive des dérogations et exonérations de cas particuliers. Ainsi au fil des années, depuis, notamment 1983, le tournant de la rigueur, les mandatés syndicaux, souvent élus au CCE et au CE, ont une forte tendance à accepter les mesures de compétitivité exigées par l’employeur au nom de l’intérêt général. Avec ce chantage permanent à l’emploi, les employeurs ont obtenu dans beaucoup de cas, le basculement de la représentation syndicale des confédérations en un syndicat d’entreprise marqué par des relations de « compréhension, mutuelle ».

Insistons sur le développement massif du chômage (Voir les graphiques en annexes de la brochure). Dans les entreprises, la tendance forte est à la confusion entre syndicat et les instances représentatives du personnel dont les membres sont aussi responsables syndicaux et participent ainsi, à leur corps défendant, à la concurrence organisée par le système capitaliste entre tous les travailleurs comme entre tous les travailleurs de tous les pays.

Dans une assemblée, un jeune ouvrier a pris la parole pour dire : ‘’c’est très bien ce que tu dis, défendre le code du travail, mais pour quoi faire ? Tu as parlé de défense, sur le fait que le code du travail doit nous protéger, mais sur quoi il me protège moi ? Je ne l’ai pas vu, je suis intérimaire, je n’ai jamais de boulot, on me traite comme un chien… Qu’est-ce que j’ai répondu ?

Lui, sa situation, c’est le résultat des dérogations au code du travail rendues possible par les chefs politiques et les gouvernements. Et les différents programmes politiques. Et c’est pour ça qu’il faut défendre le code du travail, parce que sinon, on sera tous comme lui, et lui doit nous encourager à nous battre pour rétablir ses droits dont nous disposons encore, en cassant le système de dérogation et en rétablissant les droits pour tous.

Notons que les cortèges d’unions locales sont massifs. Quand vous avez un cortège d’union locale avec quinze cents présents ; nous, on est syndicalistes, on sait ce que ça veut dire. Il faut voir des paquets de mecs pour avoir quinze cents présents dans une manifestation. Même si vous avez dans la CGT, un apport de personnel local, territorial. Mettons trois cents. Il en reste douze cents.

Moi, je ne peux pas en aligner cent…. Alors que nous avons trois cent cartes. Et là, le syndicalisme a une responsabilité, car le syndicalisme d’entreprise a généré des déserts syndicaux dans les entreprises sous-traitantes.. C’est pourquoi, il faut arrêter le syndicalisme d’entreprise. Mais, comment procéder ? A mon avis, cette discussion est fondamentale. Nous sommes en pleine recherche, alors, allons-y.

Françoise, tu fais une remarque sur le fait que je ne peux pas proposer une plateforme. Outre que tu connais la méthode, ce serait contraire à ma méthode, je souscris totalement à ta critique. Je suis allé jusque-là, pour ‘’agiter le bocal’. Mais, je vais aller plus loin maintenant.

Je vais proposer à l’assemblée générale statutaire de mon syndicat, une plateforme pour la ré industrialisation du pays, et je convaincrai les camarades de l’adopter. Ce sera non pas ma plateforme, mais celle de mon syndicat de métallos. Et je ne vais parler que des métallos, que de l’industrie. Le reste, je ne peux pas en parler. Je dirai par contre, que sur l’école, j’ai des demandes, en plus de celles des instituteurs, des professionnels. Il faut qu’il y ait l’égalité des droits. Il faut rétablir un âge auquel la scolarisation est obligatoire, sans aucune dérogation. Ce n’est pas acceptable d’avoir dans nos usines des mômes de quatorze ou quinze ans. Il faut maintenant établir une loi qui dise que la scolarité est maintenant obligatoire jusqu’à dix-huit ans. Parce qu’il faut un niveau de culture.

Les comités, il fallait les faire pour que l’unité FO-CGT se réalise. Maintenant que la CGT a repris sa place historique, cette question se pose différemment.

Le vrai débat, c’est lequel ? Est-ce que oui ou non les salariés organisés de manière élémentaire, c'est-à-dire le syndiqué a-t-il le droit de participer à la discussion, totalement de la stratégie, de la prise du pouvoir, et par qui !

Normalement, une plateforme, c’est fait pour prendre position. Tu es pour ou tu es contre. Ils ne prennent pas position. Quel est le vrai débat ? Est- ce que oui ou non, le salarié organisé de manière élémentaire dans son syndicat a le droit de participer à la discussion totalement, y compris de la stratégie de la prise du pouvoir et pour qui ? C'est tout. Si vous me dites que dans telle réunion, chacun pourra participer de l'élaboration dans sa branche ou discuter par exemple de la question du tirage au sort, ça se discute, mais j’y crois.

Pour reprendre la discussion sur la place des syndicats. Il y avait une discussion sur les fédérations et les unions locales. Fernand Pelloutier a dit : J’ai regretté toute ma vie de ne pas avoir soumis au vote l’interdiction de l’affiliation à notre confédération des fédérations de branches. Il nous donne raison aujourd'hui.

On ne peut pas être mandaté par le patron et par nos camarades de travail. Cela veut dire qu'on remet en cause ce qu’on appelait les droits syndicaux et qu'on revient sur une chose qui est une supercherie et qui est à l'origine de la corruption dans le mouvement ouvrier. La « célèbre » victoire remportée en 1968 dans les accords de Grenelle : reconnaissance du fait syndical. En fait de reconnaissance, ces accords, en imposant l’existence du délégué syndical d’entreprise mandaté par le syndicat local ont mis le ver dans le fruit. Car cette décision permet ce qui n’existait pas avant : la signature d’un accord d’entreprise par un salarié de cette même entreprise, certes mandaté par le syndicat mais qui reste, en tant que salarié dans une relation de subordination par rapport à son employeur. Et vous avez là le début des conditions permettant au patronat d’organiser le chantage à l’emploi entre les salariés des entreprises et de disloquer le syndicalisme confédéré. De ce jour-là, la réunion annuelle de rencontre avec le patronat pour la négociation de la valeur du point et qui concernait tous les métallos de toute la Région parisienne a progressivement laissé place aux négociations décentralisées entreprise par entreprise. Avant, personne ne pouvait discuter des salaires à part la délégation mandatée par le syndicat de telle entreprise de la métallurgie de la région parisienne. Il y a des endroits qui sont des déserts syndicaux mais vous savez, historiquement il y a eu des moments où les syndicats se sont développés. Il y a eu 1 000 000 de syndiqués en 1936 en France Il y a eu 1 million de grévistes. Ils ont obtenu 10 fois plus de trucs qu’à 10 millions en 1968. C’est aussi un problème qu’il faudra examiner. En 1968, on avait juste oublié de déposer les revendications !