Patronat et gouvernement placent au centre de l’argumentation la question de la compétitivité des entreprises dans un marché mondialisé soumis à une concurrence sans limite. On peut s’affirmer contre le principe de la concurrence, mais il faut pouvoir démontrer qu’il est possible de s’en affranchir, ce qui n’est pas toujours facile, surtout lorsqu’on est en CE par exemple et que le président annonce que pour sauver des emplois, il doit licencier 10% du personnel pour résister à la concurrence. Il y va de sa bonne foi pour dire que ce n’est pas de gaité de cœur, mais il met du monde de son coté en disant qu’il ne peut pas garder des salariés ‘’à ne rien faire’’ dans l’entreprise sans mettre en danger tous les emplois.
C’est vrai que, comme la pesanteur, si on veut l’ignorer, elle s’applique quand même. L’exemple de l’URSS a pesé lourd dans l’argumentation des pro-capitalistes qui ne se privaient pas de dire que les rendements obtenus par l’économie socialiste rendaient ce système très inférieur au système capitalisme et était sans avenir. Les raisons complémentaires tenaient du fait que le système ne favorisait pas l’intérêt personnel.
(La concurrence a eu raison de la socialisation des moyens de production entre les mains de la bureaucratie stalinienne au bout de 70 ans, en dernière analyse sur des marchandises très spéciales : l’armement. C’était une charge qui pesait de plus en plus sur l’économie de l’URSS alors que c’est un volant d’entrainement de l’économie capitaliste)
Pourtant, on peut dire que même si avec leurs tracteurs russes, les kolkhozes et les sovkhozes n’avaient pas le même rendement que ceux des farmers américains, du moment que cela suffisait à approvisionner le peuple russe, ils auraient pu résister à la concurrence sur ce plan, au moins pendant un temps, à condition d’avoir une politique de paix et des échanges coopératifs avec d’autres nations pour tendre à égaliser l’ensemble de l’appareil productif et des échanges commerciaux. Cependant, sans prôner le ‘’socialisme dans un seul pays’’, les frontières géographiques ont une importance considérable pour protéger les acquis sociaux, alors que le capitalisme n’a pas de frontières géographiques, il en a des sociales, vu qu’il laisse sur le côté tous ceux qui ne se trouvent pas intégrés dans un quelconque processus de production ou de service.
Donc, pour savoir si on peut résister d’abord à la concurrence et s’en défaire ensuite, il faut considérer le marché à l’échelle mondiale et analyser les effets des échanges commerciaux dans un cadre concurrentiel et non coopératif afin d’en voir les effets au sein de chaque nation en fonction de leurs traditions sociales et industrielles.
Parce que, dans la concurrence, le jeu est à somme nulle :
: « En première approximation, les entreprises enregistrent passivement un certain flux de commandes, dont les déterminations leur sont extérieures, et le convertissent en emplois nécessaires étant donné les tendances internes de la productivité. On pourrait objecter que l’entreprise dispose au contraire d’un pouvoir propre d’attirer à elle plus de clients, soit en développant l’innovation, soit en réduisant ses coûts — en vendant de meilleurs produits moins chers. Au niveau microéconomique, c’est incontestable. À ceci près que, à court terme, le jeu est finalement à somme nulle : les clients qui viendront à elle auront été soustraits à ses concurrents. Elle ouvrira en conséquence davantage de postes, mais les concurrents en ouvriront moins. Le jeu de la concurrence ne fait qu’opérer des redistributions sous contrainte du revenu disponible global à dépenser dans l’économie. » (Fréderic Lordon-LMD 06/2107).
Ce principe est bien connu des ONGs alimentaires qui fournissent du riz gratuit à des pays africains ou asiatiques, rendant inopérantes les exploitations locales. Le résultat, c’est l’abandon de la culture sur place entrainant un exode économique. C’est aussi un phénomène bien connu du FMI qui a ruiné nombre de pays à coup de réformes structurelles faisant place nette à l’exportation des produits américains.
Dont les conséquences, entrainent la réduction de la sphère des échanges, réduit la base sociale intégrée au marché et conduisent au chômage, aux licenciements, aux exodes, à la famine.
La libre concurrence favorise les fusions/concentrations qui finissent par former des conglomérats ou trusts qui ne se font plus concurrence entre eux, jusqu’à ce que des méthodes plus radicales soient employées pour finir par augmenter la concentration. C’est une des contradictions immanentes et insurmontables du système capitaliste.
Par tous ceux qui veulent nous aligner sur la compétitivité de l’Allemagne, il ne faudrait pas seulement s’aligner sur elle, mais la dépasser, en coût de notre travail tel qu’il devienne inférieur à celui des travailleurs outre Rhin, et que nous augmentions en gamme les produits que nous voulons exporter. Ce ne sont que des prétextes à l’enrichissement des actionnaires :
«Il convient de souligner que la perte de compétitivité de la France dépasse largement le seul coût du travail. Toute analyse sérieuse doit intégrer à la fois la pression exercée par la politique de l’euro fort, la compétitivité liée à la qualité de la formation, à l’organisation du travail, à la place de la recherche et de l’innovation, aux caractéristiques du système productif et aux prélèvements du capital (paiement des dividendes, etc.). En effet, non seulement le coût horaire du travail en 2008 — dernière année de comparaison disponible — dans l’industrie manufacturière française est inférieur à celui de l’Allemagne (33,16 euros contre 33,37 euros), mais la productivité par personne est en France l’une des meilleures d’Europe : elle est de 21 % supérieure à la moyenne de l’Union à vingt-sept et de 15 % supérieure à celle de l’Allemagne. C’est pourquoi la stratégie systématique de baisse continue du coût du travail se révèle une impasse.
‘’Les faiblesses du capitalisme français sont connues depuis une quarantaine d’années : sous-industrialisation (12% du PIB et 11% de l’emploi), insuffisance de la recherche-développement privée et industrielle, positionnement de milieu de gamme pour les productions, écrasement et pillage du tissu de PME par les grands groupes — celles qui exportent étant trois fois moins nombreuses qu’en Allemagne —, insuffisance de formation initiale et continue, sous-qualification et non-reconnaissance de celles qui existent, dévalorisation de toute culture technique, technologique ou scientifique dans le système des représentations sociales... La non-compétitivité française tient en particulier au sous-investissement des industriels et du secteur privé dans la recherche. L’effort ne dépasse pas le quart des dividendes nets versés en 2008, contre 35% en 1995 (10). En 2010, cela ne représente que 57% de l’effort financier des entreprises allemandes.’’ (Laurent Carroué LMD mars 2012)
Tout ça pour aboutir à ce que le chômage change de camp, alors que la production de voitures françaises moyenne gamme suffit à approvisionner les besoins des ménages français, et même à exporter. Nous pourrions vivre sans souffrir sans avoir accès aux Mercedes, BMW ou Audi. Nous ne partons pas au même point que La Russie à l’aube de la révolution russe….
Donc, la question est de savoir : Comment un état peut-il protéger sa population pour lui permettre de satisfaire aux prérequis selon Marx : ‘’Se nourrir se loger, s’instruire, se soigner et se vêtir’’ et davantage encore, des services publics compétents et une industrie qui soit confortée puisque l’industrie, c’est le socle de la puissance (Laurent Carroué LMD mars 2012).
Ce n’est certainement pas la politique de E. Macron qui se permet de dire en pleine campagne électorale : aux salariés de Whirlpool :
‘’ Je ne peux ni interdire de verser les dividendes, ni interdire de fermer un site. Ce n’est pas possible, car il y a la liberté d’entreprendre, la liberté de la propriété. Si je ne respecte pas ça, plus personne ne viendra investir en France…’’ (Envoyé spécial du 26/04/2017).
Cela ne peut pas venir d’une opposition syndicale qui consiste à dire :
"Le syndicalisme divisé qui se cantonnerait à organiser des manifestations pour faire croire qu'il est d'accord contre quelque chose mais jamais pour quelque chose, je pense qu'il faut que ça s'arrête", a déclaré Laurent Berger, le secrétaire général de l'organisation, dans une interview. "Il faut se mobiliser pour des idées", a-t-il poursuivi.
"L'affrontement stérile entre d'un côté les syndicats et de l'autre le patronat où la seule issue c'est de se taper dessus, c'est ringard et dépassé."
Ou bien :
‘’⇨ Le dossier STX, négocié par l’ancien gouvernement concernant le rachat des chantiers navals de Saint-Nazaire par le groupe italien Fincantieri à son actionnaire actuel STX Europe AS. Cette démarche a pour but de renégocier l’actionnariat pour préserver la souveraineté, favoriser les emplois, et conserver le savoir-faire et le carnet de commandes qui est très important à ce jour. ⇨ Le dossier GM&S, afin de trouver un repreneur pour cet équipementier automobile et avec l’objectif de maintenir le maximum d’emplois.’’ (Résolution Commission Administrative Fédérale métallurgie de la CGT-FO du 15 et 16 juin 2017)
D’un côté, c’est plutôt délicat pour un syndicat de répéter les déclarations lénifiantes d’un actionnaire qui cherche à fusionner concentrer pour rivaliser avec l’allemand Meyer Werft. On sait ce qu’il en est de la préservation des emplois dans ce contexte. De l’autre, Macron a remplacé les actionnaires italiens par des croisiéristes, ce qui ne rend pas souverain STX pour fixer ses prix de vente. Dans ce domaine, ‘’faire entrer MSC et RCCL dans le capital de STX, deux de ses principaux clients qui connaissent sur le bout des doigts le marché et ses prix, c’est un peu comme faire entrer Air France et Lufthansa dans le capital d’Airbus. (LT Michel Cabirol, 2/06/17). S’il faut choisir un actionnaire, à défaut, le seul qui vaille, c’est l’état.
Quant à la position de Macron aux salariés de GM&S, il leur a tout simplement déclaré : ‘’je ne suis pas le père noël…’’. (Le 9/06/2017 à La Souterraine.). Pour préciser, il n’est pas là pour faire des cadeaux aux salariés, il réserve ses prodigalités pour les investisseurs, comme par exemple la pérennisation du CICE, du pacte de responsabilité et le suramortissement accéléré. Baisse de l’impôt sur les sociétés etc.
Pour que l’ensemble des salariés puissent s’émanciper de la concurrence, cela passe par l’émancipation du pouvoir discrétionnaire des banques et des industriels, ils doivent prendre le contrôle de l’investissement dans l’industrie et par voie de conséquence, prendre le contrôle du crédit bancaire. Faire basculer le rapport des forces du libéralisme vars l’état socialisant. Rappel du libéralisme : ‘’l’état n’a pas à intervenir dans les affaires privées, surtout commerciales, mais les libéraux se tournent vers l’état pour lui demander des concessions telles que recapitalisations pour éviter la faillite, autoroutes, stades, primes à l’export à la recherche, ‘’aide à l’emploi’’, ou la mise de fonds considérables comme pour Airbus, le nucléaire etc.’’.
Inutile de dire qu’il en découle de sortir de l’UE avec toutes les mesures à prendre y afférant. Sur ce point, pour ne pas être naïfs, il faut avoir tiré les leçons de 1981. Les syndicats lutte de classe dans les banques et de l’industrie doivent jouer un rôle préventif à l’insurrection bancaire. (Genre la catastrophe imminente et les moyens de la conjurer).
Prendre le contrôle bancaire c’est remettre la main sur les biens publics que sont les dépôts de la population et la gestion des moyens de paiement (cf. : Frédéric Lordon) soit :
- Contrôle des changes pour priver les banques du chantage exercé par ‘’l’insurrection bancaire’’
- Conserver les encaisses monétaires, l’intégrité du système des paiements
- Stopper la fuite des capitaux. Dans ce domaine, comme dans le précédent, les syndicats auront un très grand rôle à jouer, en s’appuyant sur les connaissances auxquelles les délégués ont accès dans le cadre de l’exercice de leurs mandats.
- Rebattre monnaie
- Nationalisation intégrale du secteur bancaire à 0€ suite à sauvetage des banques dans la crise systémique.
Prendre le contrôle de l’industrie c’est décider où et comment investir, orienter la production en orientant l’investissement public, tout en ôtant les possibilités de sabotage de l’économie par les cadres sup et les entrepreneurs. C’est une condition à remplir sans laquelle il n’est pas possible de conduire une politique de plein emploi.
- Conserver les entreprises stratégiques multinationales et PME. En dotant l’état d’un droit de préemption en tant que repreneur. De ce fait, le rôle de l’état se hisse au niveau le plus élevé pour pallier les effets de la concurrence.
Ce ne sont que quelques éléments, mais comme il faut toujours commencer par un bout, il faut conquérir le maximum de salariés du troisième collège qui concentrent à la fois un énorme savoir-faire très utile dans la lutte contre le libéralisme et en même temps ils sont une catégorie les moins défendues. Ils sont transformés petit à petit en tâcherons par la clause de ‘’perte de confiance’’ et guettés par le burn-out et le suicide.
Il faut trouver le langage et les formes appropriées pour les solidariser et les placer sous la protection de l’ensemble de la classe ouvrière qui défend les conventions collectives non seulement pour elle-même mais pour toutes les catégories salariales. Les inégalités salariales homme/femmes y sont criantes. Il faut leur montrer que nous avons besoin d’eux et il y a nombre de ces salariés à gagner. Pour l’ensemble, de cette catégorie (hors cadres sup) nous pouvons obtenir au moins de leur part une bienveillante neutralité. Les convaincre que la concurrence est un jeu à somme nulle les aidera à leur faire comprendre.
J-P Battais le 20/07/2017. Syndicaliste retraité d’Alstom, Délégué au CE et au CCE dans le secteur énergie. Le fait que cette entreprise qui produisait des moyens de production, en outre dans la métallurgie a permis d’être en prise directe avec à la fois avec tous les rouages de l’appareil d’état, notamment au cours de grèves avec occupation, les PDG administrateurs en cercles et le gratin réactionnaire de l’UIMM. Leur cynisme, c’est comme la concurrence ; la seule limite, c’est celle que les salariés organisés peuvent leur opposer.