Syndicalistes attachés à la présence syndicale, nous ne pouvions qu’être choqués par le fait qu’une des premières conséquences de cette loi nouvelle soit la restriction et la régression de la présence syndicale alors qu’à nos yeux le secteur privé souffre d’une présence syndicale très insuffisante. La pression des employeurs, la précarisation et l’émiettement du salariat voulus par ces mêmes employeurs sont parmi les multiples raisons de cette insuffisance. Un tiers seulement des salariés du privé travaillent dans des entreprises ayant organisé des élections professionnelles. La première confédération de ce pays, la CGT, est présente dans seulement 28 % des établissements industriels et moins de 10 % de ceux du commerce. Les chiffres le montrent, on ne souffre pas de trop plein, mais de trop peu de syndicalisation.
Nous avons constaté aussi combien est méconnue cette loi. Grâce aux interventions pertinentes de nos invités avocats et à la contribution d’une juriste*, cette conférence a permis d’en éclairer son contenu et de favoriser son approche par les syndicalistes présents. C’est pourquoi nous avons décidé d’en publier le compte rendu intégral.
C’est maintenant chose faite avec cette brochure dont nous souhaitons qu’elle soit aussi utile et instructive pour tous les syndicalistes que l’a été pour nous la conférence elle-même. Le débat y fut important tant la complexité de cette loi est grande. De plus, comme toute loi « malveillante », son application donne lieu à une jurisprudence déjà fournie. Cette loi est marquée d’ailleurs par quelques originalités et curiosités juridiques. La première est que cette loi est la transposition de la position commune MEDEF, CFDT et CGT, intervenue quelques mois plus tôt. Cette position commune ne fait pas découler le droit d’existence d’une organisation syndicale de la liberté des salariés à se grouper pour se défendre et faire valoir leurs droits, mais des résultats électoraux obtenus lors des élections professionnelles. Nous disons bien des résultats électoraux, et pas seulement de ceux de votre établissement, mais aussi de ceux du groupe, quand il y en a un, et demain de ceux de la branche.
Autre sujet important du débat, le RSS, représentant de la section syndicale. Cette curiosité juridique a donné lieu à de vifs échanges, car les syndicalistes présents ont insisté sur l’impossibilité faite au RSS de négocier. Quels résultats peut donc obtenir une organisation syndicale dépourvue du pouvoir de négocier ? Quel salarié rejoindra une organisation syndicale qui par nature ne peut rien obtenir ? Les questions ne manquent pas sur le RSS ainsi d’ailleurs que son intérêt, comme roue de secours après le passage de la loi dans une entreprise. Car personne n’est à l’abri de l’effet dévastateur de cette loi.
Bonne lecture donc et surtout soyons fidèles à nos précurseurs, qui ont permis la loi de 1884, cet acquis démocratique essentiel mais menacé et qui ont rendu possible la fondation du syndicalisme confédéré interprofessionnel en 1895.
Les bouleversements que connaît aujourd’hui le monde du travail nous conduiront à traiter d’autres sujets. Dans les prochains mois, d’autres conférences suivront cette première.
Jean-Pierre Vialle et Denis Langlet
La séance est ouverte à 18 h 40.
M. LANGLET. - Nous allons commencer cette conférence sur la loi dite de représentativité syndicale. Il y aura quatre interventions : une juriste, Camille Langlet, sur le contenu de la loi, deux avocats ont accepté de venir témoigner sur leur expérience dans ce domaine, Me Mettin et Me Ilic. Jean-Pierre Vialle parlera de la loi de 1884 de légalisation des organisations syndicales. Et nous répondrons à vos questions.
Quelques mots d’introduction. Mme Prokhoroff m'assistera dans ma tâche de président de séance. On a jugé nécessaire de faire cette conférence parce que cette loi représente, selon moi, un véritable bouleversement, immédiat, à moyen et long terme et parce que nous sommes tous concernés. Notons au passage que cette loi ne porte pas uniquement sur la représentativité syndicale. Elle contient aussi un volet sur le temps de travail qui n'est pas secondaire puisqu'il ouvre la possibilité de déroger à la convention collective et aux accords nationaux.
Cette loi a plusieurs originalités. Une de ses originalités est qu’elle est la transposition de la position commune entre le MEDEF, la CFDT, la CGT, établie quelques mois avant. La deuxième originalité réside dans le fait que la représentativité syndicale ne découle pas du droit à exister d’une organisation syndicale, mais découle de son résultat électoral dans les différentes entreprises. Et, vous le verrez, le résultat électoral est fondamental dans les différentes entreprises. Vous pouvez être représentatif dans une entreprise et pas dans un établissement, et inversement. Je laisserai les juristes démêler la question.
Il faut aussi rappeler quelques chiffres sur la présence syndicale dans le secteur privé pour que chacun mesure l'enjeu du devenir des organisations syndicales. Aux dernières élections de 2003-2004 recensées par l'inspection du travail et la DDTE, dans 38% des entreprises, il n'y a pas eu de listes proposées au suffrage des salariés. Si l’on prend par confédération syndicale, dans l'industrie la CFDT a désigné des délégués syndicaux dans 24% des entreprises, la CGT dans 28%, FO dans 15%, la CFTC dans 9%, la CGC dans 10%. Dans le commerce : la CFDT dans 9%, la CGT dans 8%, FO dans 7%, la CFTCdans 4%, la CGC dans 5%. Si l’on s'en tient à la représentativité d'après les suffrages, cela va poser des problèmes.
Il y a aussi quelques curiosités juridiques dont une que je vais soulever tout de suite, c'est le RSS, le représentant de la section syndicale. Je suis militant depuis un certain temps, et on a toujours désigné des délégués syndicaux comme constructeurs du syndicat. On nous a inventé le RSS qui est un sous DS précaire. Le délégué syndical n'était pas précaire. Le RSS, lui, est précaire et sans pouvoir de négociation. Ce n'est pas rien le fait d'enlever le droit de négocier à un DS. Le syndicat rassemble les revendications, revendique, crée le rapport de force pour obtenir un résultat par la négociation. Y compris si le rapport de force nécessite grève. Si l’on n'a pas le droit de négocier, cela va être compliqué de revendiquer. Il y a beaucoup de jurisprudences sur l’application de cette loi. Il y a eu celle de Brest, je n'en dirai pas grand-chose.
Enfin, je voudrais dire un mot sur ce qui m'apparaît fondamental : les organisations syndicales ont été légalisées en 1884, la Confédération Ouvrière, la Confédération Générale du Travail, a été fondée en 1895, et la confédération unissait les salariés en tant que salariés dans une société divisée en classes entre le capital et le travail. Nul n'imaginait parler de syndicalisme d'entreprise. Aujourd'hui, avec cette loi, on se retrouve avec des syndicats d'entreprise. Syndicats d'entreprise signant des accords d'entreprise, alors que nos acquis collectifs, et je signale la contradiction, sont tous inter-entreprises et tous interprofessionnels : Sécurité Sociale, retraite, congés payés, convention collective.
Je dirai, parce que je suis partisan, contrairement à ceux qui vont me suivre, que l'existence des confédérations est un enjeu considérable. Dans les pays où il y a des confédérations syndicales qui unissent les salariés et les travailleurs sur la base de leurs intérêts matériels et moraux, quelles que soient les entreprises et leur localité, il y a des grèves générales. Dans les pays où il n'y a pas de confédération, il n'y a pas de grève générale. Et je suis partisan de la grève générale pour gagner sur les retraites.
(Applaudissements...)
Mlle LANGLET. - La loi du 20/08/2008 comporte deux volets : un premier volet consacré à la représentativité syndicale et un second volet concernant le temps de travail. Seules seront présentées ici les évolutions relatives à la représentativité syndicale.
La principale modification issue de cette loi réside dans la remise en cause de la présomption irréfragable de représentativité accordée aux 5 confédérations syndicales depuis un arrêté du 31 mars 1966.
En clair, auparavant, chaque syndicat affilié à l’une de ces confédérations était considéré comme représentatif quel que soit le niveau (branche, entreprise). Il n’était pas possible de rapporter la preuve contraire. Désormais, chaque organisation syndicale doit apporter la preuve de sa représentativité, et ce à chaque nouvelle échéance électorale. Et la représentativité acquise à un niveau ne vaut plus pour un autre. Exemple : un syndicat d’entreprise peut ne pas être représentatif alors que la fédération à laquelle il est rattaché est elle représentative.
Pour la mise en application de ces nouvelles dispositions, la loi a créé une période transitoire d’une durée de 5 ans à compter de sa publication, afin que l’audience des syndicats puisse être mesurée selon les nouvelles règles.
Ainsi, au niveau de l’établissement ou de l’entreprise, le syndicat représentatif à ce niveau le restera jusqu’au prononcé des résultats des premières élections professionnelles qui se déroulent après la publication de la loi.
La représentativité syndicale dans l’entreprise confère aux organisations syndicales certaines prérogatives (I), dont notamment le pouvoir de négocier des accords d’entreprise, lesquels répondent à de nouvelles règles de validité (II).
I. La représentativité dans l’entreprise
1. Présentation des nouveaux critères de représentativité.
Ces critères sont définis à l’article L. 2121-1 du code du travail.
Pour mémoire, l’ancienne rédaction prévoyait que pour être représentatif, un syndicat devait réunir les critères suivants :
- Les effectifs,
- L’indépendance,
- Les cotisations,
- L’expérience et l’ancienneté du syndicat,
- L’attitude patriotique pendant la guerre.
- Ces critères n’étaient pas cumulatifs.
La nouvelle rédaction de l’article L. 2121-1 du code du travail reprend 4 des anciens critères et en ajoute 3 nouveaux. Ces 7 nouveaux critères sont désormais cumulatifs.
Il s’agit :
- Du respect des valeurs républicaines, critère qui se substitue à celui de l’attitude patriotique pendant la guerre.
- L’indépendance (sous entendue vis-à-vis de l’employeur),
- La transparence financière (critère à rapprocher des nouvelles obligations faites aux organisations syndicales quant à la certification et à la publication de leurs comptes),
- Une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation,
- L’audience, critère central,
- L’influence, principalement caractérisée par l’activité et l’expérience,
- Les effectifs d’adhérents et les cotisations.
Avant de s’intéresser plus particulièrement au critère de l’audience, il convient de s’attarder sur un critère dont on parle moins mais qui est tout aussi essentiel, celui de l’ancienneté. L’ancienneté d’un syndicat s’apprécie à compter de la date du dépôt légal de ses statuts en mairie. Il est donc prudent de vérifier que les statuts du syndicat sont bien régulièrement déposés, et mis à jour par la même occasion.
L’audience électorale s’établit à partir des résultats aux élections professionnelles. Pour être représentatif, un syndicat doit obtenir au moins 10 % des suffrages exprimés (c'est-à-dire sans les bulletins blancs ou nuls) au 1er tour des dernières élections des membres titulaires au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel, ou à défaut des délégués du personnel.
Même si le quorum n’est pas atteint au 1er tour, celui-ci doit malgré tout être dépouillé en vue de la mesure de l’audience.
Dans le cas d’une société à établissements multiples en présence de comités d’établissement et d’un comité central d’entreprise, la représentativité au niveau de l’entreprise se calcule par addition des résultats obtenus par le syndicat au 1er tour des élections de chaque comité d’établissement.
Ainsi, un syndicat peut être représentatif dans un établissement sans être représentatif au niveau de l’entreprise. Et inversement, un syndicat représentatif au niveau de l’entreprise peut ne pas l’être dans chaque établissement.
La représentativité est mesurée sur les résultats obtenus sur l’ensemble des collèges où le syndicat a vocation à présenter des candidats. Par exemple, une organisation syndicale telle que Force Ouvrière ou la CGT ont vocation à présenter des candidats dans tous les collèges (que ce soit le collège ouvrier ou cadre). Leur représentativité sera donc mesurée sur l’ensemble des suffrages exprimés sans considération des collèges, alors même qu’elles ne présentaient de candidats que dans le collège ouvrier.
Les dispositions de la loi concernant les organisations syndicales catégorielles ne concernent à ce jour que la CFE-CGC qui, elle, a vocation à représenter uniquement le personnel cadre.
La mesure de l’audience a un double intérêt :
- déterminer les syndicats représentatifs dans l’entreprise,
- mesurer le poids respectif de chaque organisation. Ce qui est indispensable pour apprécier la validité des accords collectifs signés dans l’entreprise.
2. Quelles prérogatives découlent de ces critères pour les OS ?
Cas d’un syndicat représentatif, c’est à dire qui a obtenu 10% au moins à la dernière élection CE
Un syndicat représentatif dans l’entreprise et seul un syndicat reconnu représentatif a la faculté de désigner un délégué syndical dans l’entreprise. La loi apporte une précision supplémentaire quant à la personne à désigner. Il doit s’agir impérativement d’un candidat titulaire ou suppléant au 1er tour des élections professionnelles (CE, DUP ou DP peu importe) ayant recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés sur sa personne. Le délégué syndical ne peut donc plus être choisi librement parmi les salariés de l’entreprise.
Les anciennes conditions de désignation d’un délégué syndical (ancienneté minimale d’un an dans l’entreprise, âgé minimum de 18 ans, et pas de déchéance des droits civiques) sont toujours en vigueur.
Le code du travail, dans sa nouvelle rédaction, précise que le mandat de délégué syndical cesse lorsque l’organisation syndicale qui l’a désigné n’est plus représentative ou lorsqu’il n’a pas recueilli aux élections suivantes 10 % des suffrages exprimés. Le mandat de délégué syndical est donc remis en cause à chaque nouvelle élection.
Cas d’un syndicat non représentatif, c’est-à-dire qui a obtenu moins de 10% à la dernière élection du CE.
Le syndicat n’est donc pas représentatif dans l’entreprise. Il ne pourra pas désigner de délégué syndical. En revanche, la loi l’autorise à désigner un représentant de la section syndicale, un RSS.
Le code du travail indique que le RSS bénéficie des mêmes prérogatives que le DS à l’exception du pouvoir de négocier des accords collectifs.
Rappelons la définition qui a été donnée du RSS dans le rapport établi par l’Assemblée nationale :
Il s’agit «d’un dirigeant de section défendant un syndicat qui n’a pas encore prouvé sa représentativité. Sa fonction sera de faire vivre la section syndicale afin que le syndicat obtienne les 10% nécessaires aux élections professionnelles ».
Pour ce faire, le RSS bénéficie d’un crédit d’heures mensuel de 4 heures.
Contrairement aux règles applicables à la désignation du DS, pour la désignation du RSS, l’organisation syndicale choisit librement la personne qui détiendra ce mandat. Un syndicat non représentatif ne peut désigner qu’un seul RSS. Cela n’est pas fonction de l’effectif, comme c’est le cas pour les DS.
Le DS, dont l’organisation n’est plus représentative suite aux élections, peut tout à fait être désigné RSS. Cela ne pose aucun problème. En revanche, aux élections suivantes (soit les secondes ayant lieu après la publication de la loi), le RSS dont le syndicat n’a pas obtenu les 10 % requis pour être représentatif ne pourra plus occuper ce mandat et ce jusqu’aux 6 mois précédant les élections suivantes. Le syndicat non représentatif devra désigner une autre personne.
La loi est également venue modifier les conditions de désignation du représentant syndical au CE dans les entreprises de plus de 300 salariés.
Désormais, pour désigner un RS au CE, le syndicat doit avoir au moins 2 élus au CE, qu’ils soient titulaires ou suppléants. Le RS, contrairement au DS, n’a pas à être désigné parmi les candidats aux élections professionnelles. Il est choisi librement parmi le personnel de l’entreprise.
Son mandat prend fin si le syndicat qui l’a désigné perd ses élus au CE lors des prochaines élections.
Pour les entreprises de moins de 300 salariés, les règles demeurent inchangées. Le DS est toujours de droit RS au CE.
II. La négociation dans l’entreprise
1. Conditions de validité des accords d’entreprise
Depuis la loi du 4 mai 2004, les conditions de validité des accords d’entreprise devaient normalement être fixées par une convention de branche ou un accord étendu.
Deux possibilités existaient :
- Soit une majorité d’engagement ; pour être valable, l’accord devait être signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins la moitié des suffrages exprimés aux dernières élections au CE (titulaires et suppléants, à défaut de précisions). Si la condition de majorité n’était pas satisfaite, l’accord devait être soumis à l’approbation des salariés.
- L’alternative était celle de la majorité d’opposition. Cela signifie que la validité de l’accord était soumise à l’absence d’opposition d’une ou plusieurs organisations syndicale représentative ayant recueilli au moins la moitié des suffrages exprimés au 1er tour des dernières élections professionnelles. De ce fait, même un accord signé par un syndicat minoritaire pouvait être valable.
En l’absence de convention de branche, le principe de l’opposition majoritaire devait être retenu.
La loi du 20 août modifie ces règles en retenant un système hybride.
Désormais, un accord d’entreprise est valable si :
- Il est signé par une ou plusieurs organisation syndicale représentative ayant obtenu plus de 30 % des suffrages exprimés au 1er tour des dernières élections (1ère condition),
- Et s’il ne fait pas l’objet d’opposition d’une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés à ces mêmes élections.
L’opposition doit être notifiée par écrit aux signataires de l’accord dans un délai de 8 jours. Elle doit être motivée et préciser les points de désaccord.
Toutes ces nouvelles règles sont entrées en vigueur le 1er janvier 2009.
Les règles de dénonciation et de mise en cause des accords ont été aménagées en vue de tenir compte d’une éventuelle perte de représentativité d’une organisation syndicale.
Si une organisation syndicale signataire perd sa représentativité, la dénonciation d’un accord n’aura d’effet que si elle émane d’une ou plusieurs organisation syndicale représentative dans le champ d’application de l’accord et ayant recueilli la majorité des suffrages.
Cependant, pour préserver la sécurité juridique, la perte de représentativité de l’ensemble des syndicats signataires n’entraîne pas la mise en cause de l’accord signé.
2. Conditions de validité du protocole d’accord préélectoral
Désormais, et c’est logique, tous les syndicats, qu’ils soient représentatifs ou non, ont la faculté de négocier le protocole d’accord préélectoral (PAP) et de présenter des candidats.
Pour participer à la négociation du PAP, le syndicat doit satisfaire uniquement les critères de respect des valeurs républicaines, d’indépendance, et couvrir le champ géographique et professionnel de l’entreprise ou de l’établissement concerné.
En ce qui concerne le mode de scrutin. La loi n’y a pas apporté de modification. Il s’agit toujours d’un scrutin de liste avec représentation proportionnelle à la plus forte moyenne.
Ce sont en revanche les conditions de validité du PAP qui ont été modifiées. Désormais, la validité du PAP requiert le respect d’une double condition de majorité.
A savoir le respect d’une majorité en nombre d’organisations signataires parmi les organisations invitées à sa négociation, au sein desquelles doivent figurer les organisations syndicales représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés aux dernières élections CE (ou quand le résultat n’est pas disponible la majorité arithmétique des OS dans l’entreprise).
Ces dispositions concernent toutes les clauses du PAP, à l’exception de celles relatives à la modification du nombre ou de la composition des collèges électoraux et celles concernant l’organisation de l’élection hors du temps de travail. Dans ces cas-là, l’unanimité est toujours exigée. La loi n’a rien modifié.
Conclusion :
De nouvelles règles de représentativité ont été créées pour les organisations syndicales au niveau des branches professionnelles et au niveau national interprofessionnel.
Ainsi, au niveau de la branche, un syndicat, pour être représentatif, doit disposer :
- D’une implantation équilibrée au sein de la branche,
- Et il doit recueillir au moins 8 % des suffrages exprimés au 1er tour des élections des titulaires CE additionnés au niveau de la branche.
La mesure de l’audience s’effectuera tous les 4 ans.
Au niveau national interprofessionnel, pour être représentative, l’organisation syndicale doit :
- Etre représentative dans les branches de l’industrie, de la construction, du commerce et des services,
- Obtenir au moins 8 % des suffrages exprimés au 1er tour des élections CE additionnés au niveau des branches.
Comme pour les branches, l’audience syndicale sera mesurée tous les 4 ans.
La 1ère mesure de l’audience dans les branches et au niveau interprofessionnel doit intervenir avant 2013.
Ce système implique la transmission de tous les PV des élections des entreprises aux services départementaux du travail.
(Applaudissements...)
Me METIN. - Je suis avocat du Barreau de Versailles spécialisé dans la défense des salariés et des organisations syndicales quelles qu'elles soient. Je remercie M. Langlet d’avoir invité deux avocats pour parler de certains dossiers et des jurisprudences qu'on a pu obtenir et qu'on peut défricher ensemble. N'hésitez pas à nous interrompre. Je n'aurai peut-être pas réponse à tout, compte tenu des trésors cachés que recèle cette loi sur la représentativité. La Cour de Cassation est en train petit à petit de la défricher.
Denis, je n'ai pas fait de bonds quand tu parlais des RSS, mais cela faisait sourire certains dans la salle. Je ne sais pas comment vous, FO, vous positionnez sur les RSS, mais il est vrai que la loi de 2008 amodifié le paysage électoral. Le but de la loi est de dire que les 5 grands syndicats et les 5 grandes confédérations n'ont peut-être plus lieu d'exister puisqu'il n'y a plus de présomption irréfragable, comme l’a dit Camille Langlet, et pour faire naître des « jeunes pousses » on va créer un RSS. Je ne sais pas pourquoi cela fait sourire. Est-ce que c'est parce qu'il n'a pas de pouvoir ? Ou parce que le RSS en soi n'est pas suffisant ? Mais c'est déjà un début.
Aujourd'hui ou demain FO, la CFDT, la CGT… peuvent dans une entreprise ne plus être représentatives et dans ce cas on sera bien content d'avoir un RSS parce qu’il aura un minimum de droits : l’affichage, la distribution de tracts….
On aura au moins encore ce droit-là et on ne sera pas relégué tout au fond de l'entreprise sans local syndical. Donc, le RSS est un tremplin et c'est pour cela qu'il faut s’en saisir dès lors qu'on perd sa représentativité.
J'enchaîne avec mon dossier et je vais vous dire les noms puisque l’arrêt a été largement publié. L’unité économique et sociale Cap Gemini, qui comporte 17 sociétés est une SSII, cela veut dire plus de 20 000 salariés dispersés partout en France et chez les clients. Quand on est syndicat, c'est difficile de toucher tous les salariés. On n'est pas à la sortie de l'usine en train de tracter. Chez Cap Gemini, les professions de foi s’envoient par voie électronique. Le syndicat représentatif les transmet à la direction et en un clic, elles sont envoyées à tous les salariés. Et mieux encore, la Direction envoie par courrier les 20 000 professions de foi par syndicat représentatif. C'est quand même assez fort comme dialogue social. Non ? La direction de soutenir qu'il y a un grand dialogue chez Cap Gemini….
Si ce n'est qu’il y a de tous petits syndicats qui, eux, se sont servis de la loi de 2008 pour essayer de s'implanter et rivaliser avec les syndicats représentatifs qui disposent de moyens importants. Ils estiment qu'eux aussi doivent avoir une place au sein de cette énorme structure de 20 000 salariés. J’ai donc assisté un petit syndicat qui s’est démarqué, qui s'appelle CGAS, c’est une émanation de la CGT, et qui de fait s’est emparé de la loi de 2008 et a voulu obtenir en justice le bénéfice d'accords collectifs réservés aux organisations syndicales représentatives. Et ces accords collectifs, il y en a beaucoup chez Cap Gemini, mais l’un est primordial, c'est celui concernant les envois par mail des tracts et des professions de foi. L'accord collectif est clair chez Cap Gemini : il ne concerne que les organisations syndicales représentatives.
A ce jour, qui dit organisations syndicales dit notamment les 5 affiliées aux confédérations et pas les autres. Les élections ont eu lieu le 6 mai. La loi de 2008 permet à des petits syndicats de désigner un RSS, ce qu'on avait fait mais il n'avait droit qu'à 4 heures de délégation, alors que les délégués syndicaux avaient droit à 50 heures. CGAS pouvait faire de l'affichage, mais n'avait pas d’accès aux courriels et aux adresses électroniques ou postales, et c'était difficile de toucher 20 000 salariés.
Déjà, on est un petit syndicat et on n'a pas les mêmes moyens. On a donc agi en justice pour obtenir le bénéfice des accords. On a engagé une procédure dite à jour fixe, on est passé devant le TGI de Paris. On a perdu parce que le tribunal a estimé « il ne peut être réclamé au profit d’un syndicat non représentatif, les mêmes moyens que ceux destinés par la loi ou par un accord collectif, aux seules organisations syndicales représentatives, étant souligné au surplus qu’il ne serait nullement justifié que les syndicats non représentatifs aient les mêmes moyens que ceux qui le sont, puisqu’aux termes de l’article L 2142-1-1, le représentant de la section syndicale n’a pas le pouvoir de négocier les accords collectifs ; Qu’ainsi, n’ayant pas les mêmes prérogatives, il est justifié qu’il n’ait pas les mêmes moyens. »
Nous avons donc saisi la Cour et on a été audacieux, parce que nonobstant les très faibles moyens de CGAS, on s’exposait à être condamné aux dépens en cas d’échec, dépens particulièrement élevés dès lors que 17 sociétés ont été attraites en justice.
Donc on a saisi la Cour d'Appel pour faire juger, et c'est là que la loi de 2008 est intéressante, que le principe même de la loi est de permettre le changement du paysage électoral. Comment peut-on s'intégrer dans ce nouveau paysage électoral si vous ne nous donnez pas les moyens ?
La loi dit désormais que, de toute façon, on mesure la représentativité à l'audience électorale, c'est-à-dire au vote. Or vous ne pouvez pas mesurer mon audience (celle de CGAS) puisque les salariés ne se sont pas encore prononcés. Il faut donc que CGAS et les autres syndicats partent de la même ligne de départ, avec les mêmes moyens sans que CGAS soit en retrait. Je demande donc le bénéfice de l’accord me permettant de bénéficier des envois groupés par mail et courrier. Je ne demande pas le bénéfice de l'accord après la période transitoire, je me place pendant la période transitoire. La période transitoire se définit comme la période qui se situe entre la promulgation de la loi en 2008 et les premières élections postérieures à cette loi.
La question qui était posée à la Cour d’Appel de Paris était celle de savoir si un syndicat non représentatif en vertu des nouvelles dispositions de la loi du 20 août 2008, alors qu’il remplit les critères énumérés à l’article L 2121-1 du Code du Travail (sauf le critère de l’audience, puisqu’aucun syndicat ne respecte ce critère), peut bénéficier, pendant la période transitoire, des accords au sein d’une entreprise lui permettant d’émerger.
La Cour nous a donné raison dans un attendu particulièrement clair :
« Qu'en l'espèce, au sein de l’unité économique et sociale CAP GEMINI, l'accord du 7 novembre 2002 attribue aux syndicats représentatifs des moyens techniques de diffusion de l'information syndicale, via notamment un réseau Intranet ; que cette possibilité d'informer largement l'ensemble des personnels, qui, compte tenu de l'activité de l'entreprise, sont particulièrement disséminés, constitue manifestement un avantage pour ceux qui en bénéficient et crée, dès lors, un déséquilibre avec les organisations syndicales qui en sont exclues ; que l'accord litigieux qui n'a pas la qualité d'un accord pré-électoral, est susceptible d'influencer de façon déterminante le résultat des élections, alors que la loi du 20 août 2008 a institué de nouveaux critères de représentativité, dont celui de l'audience qui n'avait pas cours lors de la conclusion de l'accord et qui repose aujourd'hui sur les résultats aux élections ; que l'exigence d'une parfaite égalité de traitement dans les moyens de diffusion de l'action syndicale dans le but d'assurer à toutes les organisations une égalité de chance dans le cadre du scrutin à venir, s'impose en toute hypothèse et qu'il convient, dès lors, de dire que le syndicat appelant doit bénéficier des dispositions de cet accord, quand bien même il n'est pas, à ce jour, représentatif ; que le jugement sera, en conséquence, infirmé de ce chef. »
Du coup, tous les « petits syndicats » peuvent en bénéficier.
Mais l'aspect comique est que les élections ont débuté le 6 mai 2010 et l'arrêt rendu lui aussi le 6 mai 2010. J'ai obtenu un arrêt, mais qu'on n'a pas pu mettre en application. Aujourd'hui on est devant le Tribunal d'Instance de Boulogne et je demande l'annulation des élections, notamment pour ce défaut d’égalité entre les syndicats. Mais Cap Gemini demande le sursis à statuer dans l'attente que la Cour de Cassation tranche. L’audience est prévue le 18 octobre prochain. On verra.
Il est important qu'on se batte pour tous les syndicats et pas seulement les cinq organisations historiquement représentatives parce qu'aujourd'hui, dans certaines entreprises, vous pouvez perdre votre représentativité. Il faut la regagner aux prochaines élections et il faut que vous soyez sur un pied d'égalité avec des syndicats structurés et qui ont des moyens que vous n'avez pas au niveau de l'établissement ou de l'entreprise. Voilà un premier exemple sur lequel on peut débattre.
INTERVENANT. - On a perdu la possibilité de rester à tout jamais représentatif avec la loi. Je ne vois pas en quoi cette loi va nous être plus favorable parce qu'il faudra reconquérir une représentativité qu'on avait préalablement.
Me METIN. - Je veux bien entrer dans le débat syndical. Ici, nous avons tous nos convictions. Moi, je suis avocat engagé. Je veux bien rentrer dans ce débat. Evidemment que cette loi n'est pas née à l'initiative de FO ni des 4 autres. Mais elle existe. Aujourd'hui on doit faire avec la loi. Je ne dis pas qu'elle est bonne ou mauvaise. Mais à cause de cette loi, l'organisation syndicale à laquelle vous adhérez, FO, risque de perdre sa représentativité dans certaines entreprises. Avec les outils qu'on a, on va essayer de vous faire regagner votre représentativité.
INTERVENANT. - Dans le temps, les organisations syndicales étaient seules au sein des confédérations à même de pouvoir nommer des délégués syndicaux, ce qui garantissait deux choses : un DS est tenu par la probité de son mandat. Il est là pour signer ou ne pas signer ou même refuser les protocoles d'accord avec un employeur. Dans des petites structures, des petits syndicats peuvent être créés, mais ne croyez-vous pas qu'il y a certains employeurs, et non des moindres, qui vont profiter de cela pour créer eux-mêmes des sections syndicales dans lesquelles ils pourront nommer tranquillement des DS qui signeront leurs protocoles d'accords, comme cela s’est produit de la part de certains syndicats ?
Le mandat syndical est quand même quelque chose de totalement indépendant. Un DS doit rendre compte aux salariés de l'entreprise. Il représente une organisation syndicale, certes, mais il est habilité à négocier et signer ou dénoncer un protocole d'accord qui n'est pas respecté par l'employeur. Seule sa signature ou son refus d'accord fait foi. Mais un DS est indépendant. Un RSS, non. Ce n'est pas à cause du nombre d'heures de délégation, ici il y a beaucoup de DS et ils n'ont jamais dû compter leurs heures. Ce n'est pas le problème. C’est l'aspect d'avoir réellement le pouvoir.
A FO, vous êtes DS au sein d'un syndicat indépendant. La confédération FO au sein de la métallurgie admet la création de délégués indépendants. Dans ma boîte, on a monté un syndicat avec 50 personnes, qui porte un nom et qui a déposé des statuts. Je suis le DS de cette organisation, nommé par FO.
On a eu des gros soucis autour de cette entreprise. Le patron se moquait des élus du CE au cours des fameuses NAO qui ont été rendues obligatoires. J'ai attendu 2 mois, 3 mois, la deuxième année, il a recommencé et je l'ai dénoncé à l'inspection du travail. Copie à la DDTE. Un RSS n'aura pas ce pouvoir.
Me METIN. - Quel est le problème ?
INTERVENANT. - La représentativité, c’est fait pour supprimer l'indépendance des syndicats. C'est surtout fait pour supprimer des moyens d'action aux syndicats et confédérations qui, dans certaines entreprises, sont en-deçà du seuil de 10% et ne seront plus représentatifs. Dans ce cas, ils n'auront plus aucun pouvoir vis-à-vis des salariés pour faire leur travail de syndicat, et avoir des représentants qui défendent les salariés.
Me METIN. - Je vous ai donné un exemple, mais quand on regarde les chiffres et qu'il y a perte de représentativité d'un syndicat confédéral, c'est rarement au bénéfice d'un petit syndicat. L’écueil, c'est le seuil des 10% sur la tête du DS. Mais Me Ilic fait le nécessaire. Au niveau conventionnel cela a été jugé et il y a une question prioritaire de constitutionnalité là-dessus. Il va vous expliquer cela. On se bat pour montrer que tout cela n'est pas très constitutionnel. Je pense que la bêtise est là. Mon humble expérience en la matière me fait dire que ce ne sont pas les petits syndicats qui prennent des voix aux 5 syndicats confédéraux.
INTERVENANT. - J'ai surtout parlé pour les structures de petites entreprises. Des entreprises qui atteignent le seuil de 50 et qui sont obligées de créer un CE et de faire des élections, dans ce cas elles peuvent créer des petits syndicats maison. C'est peut-être des gens qui font leur travail au sein de la société, ce n'est pas une remise en cause. Mais sur le fondement même du syndicalisme français, qui est quand même un syndicalisme ouvrier et national, non.
Me METIN. - C'est la démocratie.
Me ILIC. - Je suis avocat du cabinet Grumbach et nous sommes aussi spécialisés en droit du travail et nous ne défendons que les salariés et que les organisations syndicales, et plutôt celles confédérées.
Je tenais avant tout à remercier M. Langlet de nous avoir invités pour discuter et vous faire partager notre expérience sur l'application et le bilan de la loi du 20 août 2008.
Je reviens sur un point qui m'a un peu titillé, c'est le « bouleversement » de la loi du 20 août 2008. Vous allez me jeter des pierres et j'aurai droit à toutes les questions mais, au risque de vous choquer, la loi du 20 août 2008 n'est pas un bouleversement. Pourquoi ? Pour les avocats et les cabinets comme le nôtre qui, avant la loi du 20 août 2008, défendaient des organisations syndicales qui ne bénéficiaient pas de la présomption irréfragable de droit divin de représentativité, pour ces organisations syndicales qui parfois ne sont pas petites et ne sont pas des syndicats maison - je ne sais pas si vous avez entendu parler du syndicat maison des journalistes qui est l'organisation tout à fait majoritaire chez eux - pour ces organisations on nous demandait : l'indépendance, l'audience, l'influence, avez-vous des adhérents ? Depuis combien de temps êtes-vous là ? Quelle est votre activité au sein de l'entreprise ? Votre histoire ? Avez-vous tracté ou envoyé des mails ?
Sur les critères déjà, je regarde L2121-3 et L2133-2, je retrouve les mêmes choses qu'on demandait avant la loi du 20 août 2008.
Et le deuxième bouleversement qui dit : je suis représentatif au niveau de la fédération, au niveau confédéral et national et on me demande de faire preuve de ma représentativité au niveau de l'entreprise. Quel culot ! Je peux négocier l'accord de branche et je ne suis pas légitime à négocier au niveau de l'entreprise. Et cela ce serait un bouleversement ? Eh bien, cela fait plus de 30 ans que c'est comme cela. Une organisation syndicale a beau être représentative au niveau de la branche, elle doit faire la preuve de sa représentativité au niveau de l'entreprise.
Je prends l'exemple du syndicat national des journalistes. Nous négocions au niveau de la branche la convention collective des journalistes, qui s'applique à toutes les entreprises de presse, et je dois faire la preuve de ma représentativité au niveau de l'entreprise.
Donc le « bouleversement », il faut quand même relativiser tout cela. Il y a des choses qui ont été modifiées. Une remise en cause opérée par la loi du 20 août 2008, mais le bouleversement c'est le fait qu'aujourd'hui la représentativité descendante, bureaucratique, c'est fini. La représentativité, cela part d’en bas et cela va jusqu'en haut. C'est le système mis en place par la loi du 20 août 2008, et le bouleversement c'est celui-là.
Je me garderai bien de porter un jugement sur cette modification. Une fois de plus, je n'ai pas envie de me fâcher avec vous. Mais j'insisterai sur deux points. Le premier touche au cadre d'appréciation de la loi du 20 août 2008. Le cadre d'appréciation de la représentativité d'une organisation syndicale. Ce qui me semble être la première difficulté dans l'application de cette loi.
Comme je vous l'ai dit, aujourd'hui il y a un principe mis en place qui est qu'à chaque niveau où vous intervenez, à chaque niveau de négociation : établissement, entreprise, branche, vous devez faire la preuve de votre représentativité. Vous devez réunir l'ensemble des critères. C'est un principe qui existe depuis longtemps et il est consacré par la loi du 20 août 2008. C'est le principe de conformisme.
Et à côté de cela, je prends l'exemple de la représentativité en entreprise, on dit que pour être représentatif, le critère est d'obtenir 10% aux dernières élections titulaires du CE. Le problème est que cela ne colle pas. Parce que les cadres de représentation au niveau d'une entreprise sont différents. Un établissement au sens du DS, un établissement au sens des délégués du personnel ou du CE, ce sont des choses différentes.
Je vais vous illustrer ce que je viens de dire. Un exemple simple et qui vous concerne puisque c'est la fédération FO des cheminots au sein de la SNCF. Vous avez des établissements au sein de la SNCF avec des DS et des délégués du personnel. Etablissements qui comptent 200 à 300 salariés. Les organisations syndicales peuvent désigner des DS au niveau de ces établissements.
Aujourd'hui, la loi et la SNCF expliquent que les résultats qu'il faut prendre en compte pour apprécier la représentativité, donc les 10% d’une organisation syndicale au niveau d'un établissement, sont les résultats au niveau du CE. C'est la loi, cela va. La difficulté, c'est que le CE au sein de la SNCF regroupe tous les établissements au niveau de la région. Cela veut dire, et je vais prendre un exemple concret, qu’à St Lazare le syndicat FO fait 70% des suffrages, au niveau de la région on est en-dessous des 10%, on ne peut pas désigner de DS. Parce qu'on fait une application bureaucratique de la loi : on prend les résultats du CE, comme le dit la loi. Au niveau du CE on n'a pas 10%. Même si on est ultra majoritaire au sein de l'établissement, on ne peut pas désigner de DS.
Autre exemple pour vous montrer que les 10% ne correspondent pas et que le critère du CE n'a pas de sens.
On parlait de grève générale tout à l'heure. Sans aller jusque là, prenez les textes sur la grève dans les entreprises qui exercent une mission de service public. Dans ces entreprises, les transports, les déchets, il y a un préavis obligatoire à déposer. Ce préavis d'après la loi doit être déposé par une organisation syndicale représentative au niveau national, catégorie professionnelle, (tient donc, c'est intéressant cela) entreprise ou service. C'est quoi une organisation syndicale représentative au niveau du service ? Comment vais-je mesurer une organisation syndicale au niveau d'un service ? Je prends au niveau de l'entreprise ? Non, ce n'est pas la même chose. Le service, l'établissement, ce n'est pas l'entreprise. Ce sont des cadres différents.
Là, vous voyez qu'une fois de plus, il y a une faille. Il y a un écart entre, d'une part, l'objectif de la loi qui est de dire qu’avec les 10% on va créer une légitimité et s'assurer à chaque niveau de négociation que l'organisation syndicale est suffisamment légitime pour représenter les salariés et, d'autre part, l'application de la loi. Cela ne concerne que le cadre d'appréciation.
La deuxième difficulté touche à la question de l'appréciation des 10%, une fois qu'on s’est mis d'accord sur les élections et les cadres géographiques d'appréciation de la représentativité.
La question est simple : les 10%, comment sont-ils évalués ? Sur un collège ? Deux ou trois collèges ? Il y a là une situation un peu scandaleuse. Pour les organisations syndicales qui ne seraient pas catégorielles, comme le syndicat FO, c’est 10% sur tous les collèges. Et pour les organisations syndicales catégorielles, et il n'y en a qu'une, c'estla CFE-CGC, c’est 10% sur un collège.
Est-ce que du fait que c’est la CFE-CGC, syndicat catégoriel, on peut justifier un traitement différent ? La Cour de Cassation répond clairement non.
Là aussi la question s’est posée chez vos amis FO cheminots, et le contradicteur me disait : « cela ce sont des effets de manche, vous ne vous êtes jamais plaint de l'existence de syndicats, catégoriels ou pas. Ce sont des discussions universitaires qui n'intéressent personne ».
Si l’on regarde les résultats, on prend les PV, cela concernait le syndicat à Nantes et on constatait que le syndicat FO aux élections du CE était représentatif dans le collège maîtrise et avait obtenu plus de 10%. Il était représentatif. Le collège maîtrise au sein de l'établissement concerne 70% des salariés. Donc je suis représentatif de 70% des salariés. Mais puisqu'on fait l'amalgame avec les trois collèges, il n'y avait aucun candidat dans les autres et je ne suis pas représentatif.
La CFE-CGC, qui doit représenter 10% des effectifs, a obtenu les 10% dans le troisième collège et a le droit de désigner un DS et des RS au CE. Elle participe à la négociation, elle a accès à l'information, elle fait ses crédits d’heures et elle va voir les agents pour déborder sur nos plates-bandes et négocier à notre place.
Il y a là quelque chose, une fois de plus, de scandaleux. Là encore, entre l'objectif fixé par la loi qui était de dire qu'il faut s'assurer de la légitimité, et la réalité, il y a quelque chose de pourri dans ce royaume.
Puisqu'il y avait un peu de grain à moudre, nous avons déposé une question prioritaire de constitutionnalité. C'est la faculté que nous a offerte très récemment le législateur.
Me METIN. - C’est Jack Lang, c'est grâce à sa voix que c’est arrivé. (Rires)
M. LANGLET. - Parce qu'il était présent ce jour-là.
Me ILIC. - C'est la possibilité pour les parties à l'occasion d'un procès de dire que la loi qu'on leur oppose n'est pas constitutionnelle. Si le tribunal considère votre requête sérieuse, il va la transmettre à la Courde Cassation qui va faire un premier examen, et si elle la trouve, elle aussi, sérieuse, elle va la transmettre au Conseil Constitutionnel qui va examiner la constitutionnalité de la loi.
Nous, comme on considérait que tout cela n'était pas que des débats d’école et qu’il y avait derrière des implications importantes, nous avons déposé une question prioritaire de constitutionnalité devant le Tribunal d'Instance de Nantes. Le tribunal nous dit que le fait qu'on apprécie pour la CFE-CGC au niveau du troisième collège alors que pour FO il faut le faire sur les trois, c'est une inégalité de traitement suffisante pour que la question soit transmise à la Cour de Cassation.
Je reviens au Tribunal d'Instance de Nantes qui sursoit à statuer. Mon ami DS est toujours en poste. Et la question qu'on a posée n'était pas idiote puisque la Cour de Cassation en assemblée plénière a transmis la question au Conseil Constitutionnel.
Me METIN. - Elle n'y est pas obligée, si elle estime que le moyen n'est pas suffisamment sérieux.
Me ILIC. - Elle pose la question de la rupture d'égalité entre les organisations syndicales. Dans quelques mois nous aurons la réponse sur ce point.
Effectivement, une fois de plus, il y a un fossé entre l'objectif de la loi et cette application. Je vous ai parlé là de cas spécifiques, mais les principes que je viens de vous exposer, vous pouvez les appliquer dans toutes les entreprises.
Je m’en suis tenu à ces deux exemples, mais on aurait pu débattre assez longtemps sur la question : pourquoi prend-on en compte les résultats du premier tour et pas du second tour ? Au premier tour, quel que soit le nombre de votants. Cela veut dire que si 5 types votent, le quorum n'est pas atteint, mais vous êtes représentatif. Un type a voté pour vous.
M. LANGLET. - Avant de vous donner la parole, je dirai ceci. Sur les remarques qui ont été faites, je ne suis pas juriste, mais je maintiens le mot de bouleversement. Et je vais vous dire pourquoi.
Ne nous cachons pas la copie. L'argument officiel de cette loi était de dire : dans des branches, dans des entreprises, des accords négatifs, c'est-à-dire rétrogrades, ont été signés par des organisations syndicales minoritaires. Donc il serait plus sain, plus logique, plus honnête, qu'on vérifie à la signature d'un accord que les signataires représentent au moins majoritairement les salariés concernés.
C'est un argument qui fait appel à l'honnêteté, et ici il n'y a que des gens honnêtes. Et pourtant c'est un argument que je ne partage pas pour une raison simple. C'est qu'il faut tout dire. Je sais bien que la politique c'est : on ne dit pas tout. Mais nous avons, nous, intérêt à tout dire. Auparavant, avant la loi Aubry, avant les lois Auroux, il n'était pas possible de signer un accord d’entreprise inférieur à la convention collective. Il n'était pas possible de signer un accord inférieur au Code du Travail. C'était la règle de la clause la plus favorable. Donc le droit dans notre pays, le droit syndical, le droit social, le droit ouvrier, s’est constitué comme une pyramide avec un phénomène de cliquet. Dans nos entreprises, on signait des accords qui apportaient un plus. A partir de là, que ce soit une organisation syndicale minoritaire ou majoritaire, c'était secondaire.
Tout cet édifice a été rongé à partir du moment où il a été autorisé, et dans le domaine de l'aménagement du temps de travail cela commence dès le 17 juillet 1981, de déroger à la règle générale. En ce sens la loi sur la représentativité va parachever le bouleversement juridique introduit par le système dérogatoire.
Je ne défends pas, moi, le droit d'un syndicat, je défends le droit syndical de tous les travailleurs. De ce point de vue, je maintiens qu’il y a bouleversement. Je suis secrétaire d'un petit syndicat de la métallurgie, on a déjà perdu trois entreprises dans lesquelles on est passé en-dessous des 10%. D'ailleurs en interne, je vous dirai qu’être en-dessous des 10% pose problème. Chacun doit être capable d’avoir 3, 4 copains qui vont voter pour toi et qui sont prêts à faire quelque chose. Cela dit, on a été éjecté de ces trois entreprises.
Quelle gravité ? Aucune, si j'avais le droit de rentrer facilement dans les entreprises. Mais comment je fais maintenant pour rentrer dans les entreprises ? Je nomme un RSS ? Un courageux ? Un courageux, parce qu’on est dans la métallurgie, et le patronat ne rigole pas. On peut prendre des exemples. Dans une entreprise, le PDG refuse de nous rencontrer parce qu'on a des délégués que ans le 1er collège. Je n’y suis pour rien, enfin oui, si nous sommes majoritaires au premier collège. Le patronat fait un peu ce qu'il veut dans les boîtes. On ne rentre pas comme cela.
Donc le problème c'est qu'il y a régression du droit syndical. Au nom de la loi de 1884, je suis pour que tout ouvrier ait le droit de créer son syndicat. L'accès aux petits syndicats me va tout à fait. C'est le droit pour l'ouvrier de constituer son syndicat. Mais aujourd'hui on ne développe pas ce droit. Puisqu'y compris les grosses auberges, CGT, CFDT, FO, où il pouvait le constituer un peu à l'abri, on lui retire l'abri au nom de l'égalité. Il n'y a plus d'abri pour personne. Vous savez comme moi que l'adhésion à FO, à la CGT ou la CFDT, dans les entreprises de moins de 200 est difficile. Ces boites sont d'ailleurs les plus nombreuses, il n'y a que peu d'entreprises de plus de 1000, il en reste 300. Concrètement, quand on se situe du point de vue du droit syndical c'est ce que je constate. Je constate, par ailleurs, que nous n’en sommes qu’au début du bouleversement provoqué par cette loi.
Autre exemple : il faut faire l'addition du nombre de DS ou de RS qui disparaissent en application de la loi. Il y a des milliers de délégués en moins chaque année dans les entreprises avec cette loi. Et c'est un problème qui me semble fondamental. Alors certains ont souri pour RSS parce que par rapport à un DS, présenté comme tu le présentes, dans le désert comme une petite poire pour la soif…
Me METIN. - Le RSS a les mêmes prérogatives que le DS sauf celui de négocier.
M. LANGLET. - Oui, mais c'est un DS précaire.
Me METIN. - Je pense qu'il faut un RSS. Il sera là.
M. LANGLET. - Ce sont les quelques remarques que je voulais faire par rapport au mot « bouleversement » que j'avais utilisé.
Mais la discussion est très intéressante. Je constate que vos interventions témoignent du fait qu'on n’entre pas dans le domaine de la simplicité.
Me METIN. - Cela ne veut pas dire qu'on n'est pas d'accord, cela veut dire qu'il y a des outils juridiques que vous connaissez et qu'on vous donne en pratique. On peut penser qu'ils ne s'appliqueront jamais à FO, mais en fait un jour ils pourront s’y appliquer.
M. LANGLET. - C'est clair.
Me METIN.- Donc, attention, il y a un risque. Une fois que tu as perdu ta représentativité, il faut la retrouver. En fait, pour moi le DS c'est un RSS qui a réussi. C'est pourquoi je pense qu'il faut s’en servir.
M. LANGLET. - On s'en servira obligatoirement.
INTERVENANT. - A partir du moment où je ne peux pas négocier avec mon patron…
INTERVENANT. - Sur la représentativité et les 10%, je le savais. Mais je voudrais savoir comment on peut calculer la représentativité d'un syndicat quand il y a une liste commune.
Chez nous, caisse d'allocations familiales des Yvelines, on nous attribue un crédit d'heures en fonction du résultat des élections. L'année dernière, on a eu une liste commune CFDT-CFTC, laquelle était peu représentative, et la CFDT est le syndicat majoritaire. Il y avait des situations antérieures dans le protocole.
Me ILIC. - A défaut d'accord entre organisations syndicales, la règle c'est moitié/moitié. Chez les cheminots, nous avons fait liste commune dans certains établissements avec la CFTC, nous avons même signé des accords avec l'ensemble des suffrages pour FO et rien pour la CFTC. Cela a été contesté par cette dernière, par la confédération et la fédération, et les juges ont systématiquement validé cet accord.
INTERVENANT. - Cela veut dire que la CFTC, qui n'est pas représentative puisqu'elle a moins de 10%, n'a pas d'élu puisque la majorité est pour la CFDT, doit avoir autant d'heures syndicales que moi ?
Me ILIC. – Après, ils se mettent d'accord sur l'affectation des crédits d'heures. Ils s'arrangent entre eux. Mais cela permet à une organisation syndicale d'être représentative, de désigner des DS et d'avoir accès à des moyens.
Il ne faut pas confondre les 10% du syndicat et les 10% pour être élu ou être DS, ce sont deux choses différentes.
INTERVENANT. - Je voudrais à ce stade du débat introduire la dimension du secteur public. Je travaille dans la fonction publique. Il se trouve que le 5 juillet 2010 a été votée une loi qui s'appelle « loi de rénovation du dialogue social ». Elle découle de la même orientation que celle du 20 août 2008 pour le privé. C'est la première étape, dans la fonction publique, de la mise en oeuvre des accords de Bercy conclus le 2 juin 2008 entre un certain nombre d'organisations syndicales et l'Etat.
Il s'agit de la transposition dans la fonction publique des négociations inter- professionnelles qui ont donné lieu successivement à la position commune sur la représentativité du 10 avril 2008 entre deux organisations syndicales et une partie du patronat, puis la loi d'août 2008. Il est prévu qu'elle soit suivie par une série de textes réglementaires. Elle a plusieurs volets. Je veux insister sur quelques uns.
L'analyse que nous en avons faite dans mon syndicat, c'est que dans le secteur public nous avons des commissions administratives paritaires, dans lesquelles la notion de parité entre représentants du personnel et représentants de l'administration est un élément très important auquel nous sommes attachés. Or le paritarisme disparaît dans cette loi. Il s'agit ainsi de ramener ces commissions paritaires à de simples chambres d'enregistrement des décisions prises par les autorités hiérarchiques, en transformant ces instances en commissions de recours, précisément en commissions de recours individuels.
Une autre dimension de cette loi sur la rénovation du dialogue social est qu’elle s'inscrit dans un autre ensemble de dispositions. Dans les trois fonctions publiques, d'Etat, territoriale et hospitalière, de nouvelles dispositions commencent à se mettre en place et notamment la fin de la notation pour les fonctionnaires et la généralisation des entretiens individuels annuels, qui ont déjà cours dans le privé mais pas dans le public. Cela nous inquiète énormément. On voit, par exemple, ce qui se passe dans une entreprise comme France Télécom, et les conséquences de ces nouvelles dispositions sont catastrophiques.
Il y a une deuxième notion, c'est la création d'une prime qui s'appelle la prime fonction résultat. Comme son nom le laisse entendre, c'est une prime individualisée qui laissera une part importante à l'arbitraire. Toutes choses qui n'existaient pas dans la fonction publique.
La semaine dernière, dans une réunion des instances de l'Education Nationale, l'Inspecteur d'académie a fait une déclaration. Il faisait état de ses difficultés dans la mise en oeuvre concrète des dispositions nouvelles prises au niveau ministériel et il expliquait que, pour sortir du problème, lui, Inspecteur d'académie souhaiterait avoir à sa disposition une masse financière pour la gérer avec beaucoup plus de souplesse. Par exemple, décider que pour telle catégorie de personnel, afin de l’inciter à aller dans des zones géographiques où elle ne veut pas aller, un intéressement serait donné… Bien entendu, dans un cadre budgétaire contraint, il s'agirait de trouver l'argent dans une autre source. Pouvoir jouer sur l'individualisation des primes, l'avancement, les salaires, opérer des clivages entre les lignes salaires et équipements, ce serait pour les fonctionnaires la fin du statut général de la fonction publique. Et c'est aussi ce qui est dans la ligne de mire de cette loi.
J'ajoute que cette loi du 5 juillet prend place dans le contexte de la révision générale des politiques publiques, dont l'idéologie de base est de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite. A ce jour 100 000 postes de fonctionnaires ont déjà disparu. On commence à en voir les conséquences dans un certain nombre de services publics.
Alors sommes-nous loin du débat ? A mon avis, non. Le débat de fond est celui du droit des salariés à se doter d'organisations syndicales avec les contours et les positions qu'ils souhaitent et de faire en sorte que ces organisations syndicales puissent défendre les mandats qui sont donnés par les syndiqués et au-delà par les salariés.
Cette loi de juillet 2010 indique également qu'elle renvoie les négociations importantes pour les agents dans la fonction publique au niveau des services et des collectivités, au niveau des établissements. C'est nouveau pour nous puisque, fonctionnaires, nous avons un statut national. Or il est prévu qu'il puisse y avoir des négociations sur les points importants de notre déroulement de carrière au niveau des établissements.
Autre point : dans la fonction publique territoriale, cette loi a expressément prévu de supprimer la catégorie service actif pour les infirmières. L'esprit des accords de Bercy du 2 juin 2008 est le même que celui qui a présidé à la position commune.
Je considère que l'objectif de cette loi est de réduire le nombre d’organisations syndicales. Je ne plaide pas là pour une organisation syndicale, mais je pense que c'est le but recherché avec celui de formater le comportement des organisations syndicales et des DS.
Pour nous, une conclusion s'impose : discuter avec les syndiqués et les salariés, et, par delà les appartenances syndicales, aboutir à une compréhension commune et à une conclusion : que cette loi soit retirée et que soit donnée pleine liberté aux salariés pour constituer leurs organisations syndicales, comme c'était le cas précédemment.
INTERVENANT. - Je vais vous dire pourquoi je pense que cette loi est scélérate. Je ne vois pas pourquoi on nous impose une loi à nous organisations syndicales, je pense que le gouvernement et les partis politiques devraient déjà se l'imposer et ils ne l'ont pas fait. Ils auraient dû commencer par là. Je suis dans une grosse entreprise aéronautique, au nom de quoi on me dit : « vous faites 9% et vous ne pouvez plus être représentant ». Pourquoi m'empêche-t-on de créer un syndicat et de défendre les salariés puisque nous sommes un minimum de 5 ?
Je suis dans une entreprise où historiquement c'est la CGT qui est là. Au nom de ce qu'on appelle le dialogue social, les organisations syndicales les plus représentatives touchent aujourd’hui des milliers d'euros par an pour fonctionner. Et moi, même si historiquement ce sontla CGT et la CFDT qui sont présentes, les salariés viennent me voir et me disent : « j'ai un problème avec ma hiérarchie, avec le RH, est-ce que tu peux me défendre ? » J'y vais. Je ne suis pas là pour être à 30%, mais je suis là pour défendre les salariés, et je le fais tout le temps. Alors que les autres, avec leurs milliers d’euros, qu'est-ce qu'on en a à faire ? Jamais ils ne défendent les salariés. Quand je vois des salariés CGT qui viennent me demander de les défendre, de quel droit on peut me dire qu'avec 9% je ne représente plus rien ? Et avec 4 heures, je ne sais pas où je vais aller et, les pauvres, je ne sais pas où ils vont aller non plus.
Je pense que cette loi est scélérate pour cela. De quel droit les hommes politiques ne se l'imposent pas à eux et nous l'imposent à nous ? Aux dernières élections il y en avait combien de partis ? 17 et nous nous sommes 5. Cette loi est scélérate et il faut la revoir.
INTERVENANT. - Je suis d'accord avec ce qui a été dit sur l'aspect scandaleux et scélérat de cette loi. Mais je voudrais poser un problème plus précis par rapport au problème d'égalité des organisations syndicales face à la représentativité. Dans mon syndicat nous avons eu deux entreprises dans lesquelles FO existait et n'existe plus. A chaque fois cela s’est passé de façon incroyable.
La première c'était notre première élection, le camarade avait constitué un dossier et décidé de se placer. Il posait des revendications. C'est une petite boîte de 300 salariés. Qu’a fait l'employeur ? Il a passé un accord avec le responsable CGT du CE, lequel est passé à la CFDT, a constitué une section CFDT, a entraîné avec lui une partie de ses anciens collègues et, comme il gérait le CE, au niveau des voix après, au lieu d'avoir 3 syndicats, on s’est retrouvé avec 5. Evidemment le camarade n'a pas fait ce qu'il voulait.
Dans une autre entreprise, Canon, où on avait une réelle implantation, CE et DP, le camarade était victime sans arrêt de problèmes de harcèlement. Mais il avait une liste. Et à la veille des élections, la direction a procédé à des promotions de camarades qui étaient sur cette liste et ceux-ci se sont retrouvés sur des listes CGT ou CFDT, et le camarade a été obligé de reconstituer une liste à quelques jours des élections. Mais il a quand même eu des élus.
On peut très bien se retrouver dans une situation où on n'a pas le même nombre de voix en DP qu’en CE et c'est souvent le cas dans les entreprises où nous ne gérons pas le CE. Souvent il y a plus de voix en DP qu’en CE et la loi dit que c'est le CE. Mais la défense des revendications, c'est aussi les DP. Et quand on fait plus de 10% en DP on a des élus en DP. N'y a-t-il pas là rupture de l'égalité dans le traitement des organisations syndicales ? N'y a-t-il pas discrimination ?
Me ILIC. - La Cour de Cassation a répondu non.
INTERVENANT. - C'est un vrai problème.
Me ILIC. - Je suis d'accord. Mais la Cour de Cassation a répondu.
Me METIN. - La loi de 2008 n'a rien apporté à cela. Un certain nombre de délégués pactisent avec les directions. Cela a toujours existé, même avant la loi de 2008.
INTERVENANT. - Quand on avait des élus DP, on pouvait faire une action syndicale. Quand on est DS ,on défend les gens mais si le gars est DP, son organisation n'est plus représentative et il ne peut plus participer aux négociations salariales, ni à d'autres choses. Comment va-t-il faire ? C'est en ce sens qu'il y a rupture de l'égalité.
Me METIN. - Je ne suis pas la direction, moi. Non pas que je défende la loi, mais il faut faire avec.
INTERVENANT. - On n'est pas obligé de faire avec.
Me METIN. - Vous dites : « je suis FO et les gens viennent me voir ». Ils viennent peut-être te voir parce que tu es, toi, engagé et que tu sais les défendre et pas parce que tu es FO.
Tu n'appartiendrais à aucune organisation syndicale, tu arrives dans cette boîte et tu dis que tu veux défendre les gens, de quel droit tu ne pourrais pas t'implanter au nom du syndicat que tu veux créer ? C'est ce qu'essaie de permettre la loi de 2008.
Je ne suis pas législateur. Mais je dis qu'aujourd'hui vous vous trouvez déjà dans une situation délicate à cause de cette loi, et bien il faut prendre en compte le RSS pour vous redonner les moyens. C'est tout ce que je dis.
Vous me regardez avec des yeux comme si c'étaient des fusils.La Cour de Cassation, il faut en profiter. Me Ilic et moi, nous sommes sur le terrain et nous sommes dans les entreprises. Nous sommes là pour essayer de trouver des solutions au mieux.
INTERVENANT. - C'est déjà compliqué aujourd'hui avec 9%, parce qu'on a des attaques de tous les côtés. Alors demain, RSS, je n'en parle même pas.
Me METIN. - Vous avez dit tout à l'heure : il va se faire licencier et attaquer. Mais pourquoi ? Dès lors que vous le désignez maintenant, il va être désigné jusqu'aux élections, c'est-à-dire 4 ans. En quoi sera-t-il attaqué plus que celui qui se présente aux élections de CE et qui n'est pas élu ? Au bout de six mois, il se fait jeter. Ce n’est pas mieux.
M. LANGLET. - Pour une raison bien simple : on s'adresse à moi parce que j'ai le droit de négocier avec le patron. Le jour où je ne pourrai plus le faire, ce sera terminé. Plus personne ne me connaîtra.
Me METTIN. - Le camarade nous dit : « les gens viennent me voir sur mon nom », mais il faut que tu aies au moins un minimum de protection. Si tu es RSS, tu as quand même cette protection. C'est vrai que tu ne peux pas négocier, mais tu es quand même invité au protocole électoral. Tu as quand même quelques prérogatives qui sont meilleures que rien dans le grand désert. On te donne un os à ronger, eh bien prends-le et ronge-le !
INTERVENANT. - Il faut quand même donner l'origine de cette loi, à savoir la position commune CGT-CFDT-MEDEF-CGPME.
D'autre part, tu as parlé de petits syndicats qui pouvaient être créés grâce à cette loi. J'entends bien le dossier que tu défends et je le dis ici, je te connais parce qu'on a fait affaire ensemble et en général on ne s'en est pas mal tiré.
A Cap Gemini, on a 28 adhérents qui vont forcer le passage pour négocier le protocole préélectoral, j'entends bien qu'un syndicat rentre dans l'entreprise. Mais 28 sur 25 000, s'il atteint 10% aux élections, je vais me poser des questions sur les autres.
Me METIN. - Sur une société dans Cap Gemini on est à 9,7% devant la CFDT. C'est sur un bonhomme qui a 28 adhérents, qui a créé son syndicat et il fait 9,7%.
INTERVENANT. - C'est souvent aussi avec une personnalité qu'on attire les gens. Je connais un peu le département des Yvelines. M. Langlet parlait de trois sections qu'on a perdues. C’est un premier effet pour nous dans le département, généré par cette loi. M. Langlet perd trois sections, ce qui sur le nombre de syndicats que nous représentons n'est pas terrible. Mais le problème c'est que, de par la consolidation des résultats au niveau supérieur, national ou de branches, on risque d'avoir à partir du 1er janvier 2013 un deuxième effet qui fait qu'on va perdre les syndicats. Là où on a travaillé dans les Yvelines, on peut garder nos gars et nos syndicats dans les établissements, mais on va les perdre parce que, au niveau consolidation, on n'aura plus les 10%. Et on ne le mesure pas encore assez.
J'ai quand même un espoir, c'est que tu as parlé aussi de la consolidation par l'inspection du travail, il faut savoir que pour le moment celle-ci est nulle. Ils n'ont pas tous les résultats. Quand ils les ont, ils ne sont pas bons. Le problème c'est que personne ne peut contrôler quoi que ce soit, ni les confédérations syndicales, ni l'inspection du travail qui pourtant serait l'organe officiel.
J'ai entendu parler de guérilla juridique. Je me vois très bien dans cette configuration parce que, vous qui êtes juristes, vous connaissez cette loi, vous l'avez disséquée. Avouez qu'elle est particulièrement mal écrite. On se demande même si elle n'est pas faite pour créer de la jurisprudence contradictoire qui fera qu'à un moment ou un autre elle pourrait tomber à terme.
Je sais bien que le législateur prétend avoir fait quelque chose de bien, mais quand on voit les jurisprudences qui sont nées aussitôt après la promulgation et qui ne font qu'amplifier le contentieux électoral devant les tribunaux, c'est qu'il y a un vrai problème de fond et de forme.
Et enfin, sur l'exemple de la SNCF, on a quand même là une configuration particulière : 22 dépôts. 8 seulement où FO est représentatif et FO n'est pas représentatif au niveau national de par la consolidation. Mais qui voudrait se syndiquer à un syndicat indépendant ? Qui pourra se syndiquer à FO, sachant que FO ne négocie plus rien au niveau national ? Or à la SNCF on négocie au niveau national. Cela veut dire qu'à terme on a condamné une organisation syndicale et c'est bien le dessein qui avait été entrevu par cette loi.
Et puis, on a très peu parlé aussi d'un autre aspect de cette loi, c'est l'aspect financier. Je défie les sections syndicales de fournir des comptes de manière académique, dans la mesure où nous ne sommes pas des comptables. Au niveau des fédérations c’est pareil et ce n'est pas notre vocation première de fournir de manière bien propre des comptes que nous n'avons pas l'habitude de manipuler. Et c'est ce qu'on nous demande.
INTERVENANT. - J'ai quelques remarques. Quand tu disais tout à l'heure que la loi n'était pas à l'initiative des 4 confédérations. Il faut dire qu'elle est carrément à l'initiative de la CGT et CFDT, et d'ailleurs certains s'en mordent les doigts maintenant. Elle est aussi à l’initiative du patronat, ce qui signifie bien qu'il y a quelque chose derrière.
Me METIN. - C'est vrai. Mais après il y a tout le débat, c'est cela ou pire. Après c'est au niveau des confédérations. Mais je suis d'accord que cela est issu d'un accord national professionnel.
INTERVENANT. - Je reviens sur l'aspect du RS et du DS. Quand j'ai dit qu'il va se faire virer, c'est exactement le cas. Si je n'ai pas dans mon entreprise la possibilité de négocier avec mon employeur, je ne peux pas avoir droit de cité.
Me ILIC. - Je ne suis pas d'accord.
INTERVENANT. - On peut travailler dans la clandestinité, mais enfin. Vous nous dites pour les syndicats catégoriels c’est 8%, on ne peut pas y arriver et cela va monter jusqu'au Conseil Constitutionnel. Où est la barre ?
Je vais donner un exemple précis : j'ai une amie à l'Aéroport de Paris. Ils sont 1000 salariés. Combien y a-t-il de sous-traitants ? 3500. Ils sont invités à participer aux élections. Syndicalement, c'est la Bérézina. Quand on connaît le rapport qui existe entre l'employeur et les entreprises de sous-traitants et l'influence qu'ils peuvent avoir, vous faites sauter n'importe quelle organisation syndicale. Dans la majorité des entreprises de la métallurgie qui sont à moins de 200 salariés, vous vous retrouvez dans une situation de désert syndical. M. Langlet a donné le pourcentage de désignation de DS. Dans la situation d’une fédération comme celle de la métallurgie, même la CGT majoritaire n'est pas sûre du tout d'avoir les 8%.
On est dans un rapport qui est le suivant : à terme il n'y a plus de convention collective. Il n'y a plus d'accords nationaux. Il n'y a que des accords d'entreprise. Ou même pas d'accords du tout, d'ailleurs. Vous parliez des syndicats de journalistes, ils ont un accord national qui s'applique partout. N'importe quel salarié a un contrat de travail, va chez son employeur et se voit appliquer la convention. Mais demain, vous introduisez des relations décentralisées, parce qu'à terme c'est cela la négociation, elle sera décentralisée. Les rapports sociaux, les acquis sociaux seront également décentralisés. Et c'est majeur pour nous. C'est ce qui a fondé d'ailleurs la volonté des organisations syndicales à l'origine de se constituer en confédérations. Donc, le premier acte pour nous, c'est de résister.
Me METIN. - On résiste par nos constructions judiciaires et par les QPC. On vient nous dire que c'est conforme à la norme supérieure de la convention et c’est constitutionnel.
INTERVENANT. - Pour toutes les confédérations le premier acte c'est que, quand ils ont retiré le décret de reconnaissance des organisations confédérales, cela a été un coup porté au syndicalisme.
Mlle LANGLET. - Pour défendre un peu mes collègues juristes, la loi de 2008 et le fait qu'à terme il n'y aura peut-être plus d'accords professionnels au niveau national, sont la continuité de quelque chose qui a déjà été engagé depuis longtemps.
Je voulais parler aussi de quelque chose qu'on n'a pas évoqué : le RSS ne peut pas faire grève dans les transports urbains. Dans des secteurs, dans des entreprises privées qui régissent des services publics, il faut déposer un préavis. Après, il y a les transports urbains où, avant le dépôt du préavis, il faut faire une notification. Vous connaissez cela à la RATP, cela s'appelle l’alarme sociale. Il y a un accord qui n'est valable que pour les urbains où seule une organisation syndicale représentative dans l’entreprise peut déposer une notification. Donc le RSS ne peut pas faire grève. Et s’il n'y a qu'un syndicat non-représentatif, les salariés ne pourront pas faire grève. Après c'est un mouvement illicite, et ils seront sanctionnés.
Me METTIN. - On peut faire grève mais ce n'est pas licite et les salariés sont sanctionnés.
M. VIALLE. - C'est une lourde tâche de passer après de brillants orateurs. Je ferai un petit chapitre nostalgique sur la loi Waldeck-Rousseau de 1884. Cela paraît une antiquité mais c'est la loi qui a permis le fonctionnement syndical jusqu'à la loi de 2008.
Après des décennies d’interdiction du syndicalisme qui constituait le délit de coalition, en 1880, et après 4 ans de débats, la loi Waldeck-Rousseau est adoptée le 21 mars 1884, avec une restriction importante : le syndicalisme est toujours interdit dans le service public. Il semble nécessaire de rappeler dans notre débat l'importance de ce texte et de sa remise en cause. Le texte de la loi Waldeck-Rousseau tient dans deux feuillets. Et pourtant elle a fonctionné pendant longtemps.
L'article 1 de cette loi abroge les lois anti- ouvrières dites lois Le Chapelier. Marat voyait dans cette loi Le Chapelier de juin 1791 un attentat au droit d'association et parlant des représentants du peuple, il écrivait : « Pour prévenir les rassemblements nombreux du peuple qu'ils redoutent si fort, ils ont enlevé à la classe innombrable des manoeuvres et des ouvriers le droit de s'assembler pour délibérer en règle de leurs intérêts. Ils ne voulaient qu'isoler les citoyens et les empêcher de s'occuper en commun de la chose publique. Ainsi, c'est au moyen de quelques grossiers sophismes et de l'abus de quelques mots que les infâmes représentants de la nation l'ont dépouillée de ses droits ». Je vous laisse juge de l'actualité de ce discours.
L'article 2 stipule : « Les syndicats ou associations professionnelles exerçant la même profession pourront se constituer librement sans l'autorisation du gouvernement ». J'ai peur qu'avec la loi d'août 2008 cela ne soit plus le cas.
Article 3 : « Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude de la défense des intérêts économiques industriels, commerciaux et agricoles ». Ces lois concernent à la fois les syndicats patronaux et les syndicats de salariés.
Avec l'article 4, les syndicats arrachent aussi une grande avancée pour l'indépendance par rapport à l'Etat : la loi n'oblige pas à rendre compte à l'autorité publique du montant des cotisations ainsi que de la liste des adhérents, reconnaissant ainsi l'anonymat des cotisants.
C'est quand même la moindre des choses si on réfléchit bien. Cette loi autorise des gens à défendre leurs intérêts en commun et à mettre dans une tirelire l'argent qu'ils ont décidé pour se défendre, sans avoir à le justifier à quiconque. D'ailleurs, l'UIMM a fonctionné comme cela.
M. LANGLET. - C'était un gros cochon la tirelire !
M. VIALLE. - Leurs cotisants étaient plus gras que nous.
L'article 6, très important, précise que les syndicats peuvent aller en justice dans les cas de conflit individuel ou collectif du travail, constituer des caisses de secours mutuel et de retraite. Les ouvriers n’avaient d'ailleurs pas attendu 1884 pour créer les premières caisses de secours.
Cette loi ne tombe pas du ciel. Les historiens voient dans la révolution prolétarienne de juin 1848 le point de départ du syndicalisme. Ce sera la prise de conscience de la nouvelle classe prolétarienne qu'elle ne possède que sa force de travail face à la bourgeoisie représentant la nouvelle société capitaliste.
Mais cette loi est surtout une concession faite aux ouvriers pour calmer leur colère. Ainsi Jules Ferry à la Chambre des Députés, le 31 janvier 1884 : « Réprimer aveuglément les coalitions, favoriser la prolifération des sectes socialistes. En autorisant les syndicats professionnels ce gouvernement a mis en place une administration composée de l'élite des ouvriers, à l'arbitrage de la préfecture et capable d'isoler les agitateurs professionnels ». Je me demande si la loi d'août 2008 n'a pas les mêmes objectifs.
En 1895, ce fut la naissance de la CGT au congrès de Limoges, dont le but est d'unir les travailleurs en lutte pour leur émancipation intégrale. C'est le point 2 du document constitutif adopté à ce congrès. Ce point essentiel est repris au congrès de 1906, qui fixe comme objectif à la lutte la disparition du salariat et du patronat. Ce sera aussi l'acte fondateur du syndicalisme indépendant. La charte d'Amiens précise : « Le congrès déclare qu'afin que le syndicalisme atteigne son maximum d'effet, l'action économique doit s'exercer directement contre le patronat. Les organisations confédérées n'ayant pas en tant que groupements syndicaux à se préoccuper des partis et des sectes ».
On sent ici l'influence de la toute nouvelle loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat ! Ce sont pour moi, avec la loi de Waldeck-Rousseau, les lois fondatrices de la République. La promulgation en 1941 de la charte du travail par le gouvernement de Vichy organise la dissolution des organisations syndicales existantes et la création de syndicats uniques par corporation. Corporatisme d'Etat généralisé. Mais Pétain n'a-t-il pas fait que réaliser la profonde aspiration du patronat, notamment du patronat chrétien ?
En effet, depuis le début du syndicalisme, la bataille entre les tenants de l'indépendance syndicale et le souhait de la classe dirigeante de l'encadrer et de l'intégrer à l'entreprise pour l'instrumentaliser en élément de cogestion, a été permanente et a revêtu toutes les formes possibles.
En avril 2008, M. Sarkozy écrivait dans le journal Le Monde, sous le titre Pour des syndicats forts : « Aujourd'hui la représentation syndicale est éclatée, fondée sur des critères obsolètes qui datent de 1950, et un mode de financement inadapté dont les règles n'ont pas été revues depuis la loi de Waldeck-Rousseau de 1884. Nous devons la rénover. Il faut donner plus de place aux résultats aux élections professionnelles…et, bien entendu, donner aux partenaires sociaux un cadre de financement totalement transparent et qui leur permette d'exercer pleinement leur mission…Un projet de position commune du patronat et des syndicats a été établi. Une position commune, ce n'est pas un accord au sens juridique du mot mais nous voyons combien ces travaux permettent de poser les bases d'une réforme en profondeur des relations sociales dans notre pays, la plus importante depuis la Libération ».
Et quelques mois plus tôt, Denis Kessler, numéro 2 du MEDEF, écrivait : « La liste des réformes ? C’est simple. Prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance ».
C'est clair, c'est d'un cynisme total, on le voit tous les jours, et la fête va continuer avec la démolition de la Sécurité Sociale.
Côté transparence des financements, chacun sait que M. Sarkozy est un spécialiste, et en quoi le suffrage donne une quelconque légitimité supplémentaire à la revendication des salariés. De plus, par des critères dits négociés, la loi ouvre la porte au contrôle des syndicats par le patronat et l'Etat. Certains considèrent qu'une loi modifiant les négociations collectives est un passage obligé pour faire évoluer le syndicalisme. Un syndicaliste où un syndicat ne serait pas capable d'évoluer tout seul par la libre discussion de ses membres et pour ses membres. Cela en dit long sur la liberté syndicale et le débat démocratique.
Compte tenu des calendriers des élections et de l'abandon progressif des règles actuelles, il faudra sans doute des années pour que cette loi produise tous ses effets. Mais déjà les premiers effets nous ont conduits à organiser le débat d’aujourd’hui.
Ce n'est qu'un début. Donc restons vigilants. Les salariés devront protéger leurs acquis contre les remises en cause incessantes et les reconquérir, alors même que ces acquis sont encore insuffisants et qu’il reste beaucoup à faire.
J'ajoute deux citations. Un certain Joseph Chamberlain, maire de gauche de Birmingham, en 1885, écrivait sur la théorie de la rançon : « Si vous voulez avoir un salariat docile, subventionner une bureaucratie syndicale c'est la rançon à accepter ». On a parlé de sommes allouées aux syndicats dans les entreprises.
Un député de gauche beaucoup plus proche de nous, en octobre 2003 : « Vous trouvez que les syndicats ont trop de pouvoir en dépit de leurs maigres effectifs ? Essayez donc les coordinations, les grèves sauvages, les jacqueries ouvrières ».
Dans un article récent intitulé La fin du syndicalisme est-elle souhaitable ? Yvon Gattaz, ex-président du CNPF devenu MEDEF, écrit : « Les véritables entrepreneurs, en particulier ceux qui ont créé leur entreprise et embauché peu à peu tout le personnel, connaissent parfaitement le secret de l'harmonie sociale : la disparition des syndicats. Les performances des entreprises sont inversement proportionnelles à leur taux de syndicalisation. Et l'élimination s'impose donc économiquement ». Voilà qui a le mérite de la clarté et ne s'encombre pas d'une loi.
Pour terminer en rendant hommage à tous les syndicats qui ont permis de former des générations de conseillers aux Prud'hommes, de défenseurs syndicaux, de conseillers des salariés, de délégués du personnel qui font un travail fabuleux dans les entreprises, tous syndicats confondus, et remercier ces derniers pour leur travail de terrain.
Je veux remercier aussi les avocats présents ce soir et qui nous aident. J'avais invité Me Grumbach, à qui on aurait pu décerner un syndicat d’or pour l'ensemble de son œuvre militante et qui continue à apporter une aide précieuse.
J'ai invité un certain nombre de magistrats qui ont respecté le droit du travail. Leur travail nous aide aussi en faisant respecter le droit du travail dans les tribunaux d'instance.
Et puis, je veux remercier M. Langlet qui est à l'origine du débat de ce soir. Je le remercie lui aussi pour l'ensemble de son oeuvre. Il est syndicaliste depuis de nombreuses années. Il a écrit des livres qui nous permettent de voir la relation qui existe entre le grand patronat, la finance et l'industrie, je devrais dire la désindustrialisation. Il a fait un travail colossal, et c'est un constat basé sur des chiffres. Ses deux livres sont tout à fait intéressants. Je vais lui laisser la parole pour qu’il nous annonce la suite, car cette conférence ne restera pas orpheline.
(Applaudissements...)
M. LANGLET. - Je remercie Jean-Pierre Vialle, je remercie, bien sûr, Camille et nos amis avocats pour leurs exposés et pour avoir accepté de subir le feu des questions et l'enthousiasme de la salle.
Les organisations syndicales peuvent faire l'objet de nombreuses critiques, d'insuffisances. J'invite tous les délégués ici à se pencher sur l'origine de ces difficultés et insuffisances. Car il y a beaucoup de travail à faire. Dans une entreprise aujourd'hui, la majorité du temps du délégué est pris par les réunions avec la hiérarchie et la direction. Il faut trouver la manière de se dégager de cette situation. Ce n’est pas aux employeurs de fixer l’emploi du temps du syndicat. Nous assistons depuis 25 ans à une offensive en règle contre les syndicats, contre le droit à l'organisation, contre la syndicalisation, par le biais de l'individualisation et de l'intégration à la gestion de l'entreprise par toute une série de moyens qui font qu'aujourd'hui beaucoup d'entreprises sont des déserts syndicaux. De ce point de vue, ne nous étonnons pas qu'à l'occasion de l'application de la loi du 20 août il y ait des reclassements. Certains délégués syndicaux ont changé de syndicat à l'approche des élections par peur de passer sous la barre des 10%. Ce sont ce qu'on appelle des hommes de conviction. Cela dit, c'est le résultat non pas de la faiblesse syndicale, mais de l'ampleur de l'offensive.
Regardons bien ces questions-là. A travers cette loi, il y a la poursuite d'une offensive sur le droit fondamental qu'est le droit à l'organisation. Je fais partie des courants de pensée, d'action et de proposition qui ont été contre les lois sur le dialogue social et contre le financement des syndicats par les employeurs. Celui qui paye l'orchestre choisit la musique.
Nous ne trouverons pas l'acte salvateur par une action gouvernementale ou une loi, mais en faisant appel aux collègues de travail. Je constate que la nouvelle loi ne nous favorise pas et n'a pas établi un droit syndical identique pour tous, quelle que soit la taille de l'entreprise. C'est quelque chose de fondamental, parce que les multinationales aujourd'hui tirent la majorité de leurs gains de productivité de la surexploitation de la chaîne des sous-traitants dans laquelle il n'y a pas de syndicats. Et je rappelle que le premier acte de mise en sous-traitance en France date de la réunion de septembre 1968 au siège du CNPF, à l'initiative de la régie Renault, où il a été décidé, entre constructeurs automobiles, d'organiser la mise en sous-traitance dans des petites entreprises à partir d'une carte de l’implantation syndicale. Ils ont commencé à sous-traiter les ateliers où la CGT était majoritaire. C'est cela l'histoire de la sous-traitance.
Notre débat d'aujourd'hui n'est qu'un premier débat et il est très important d’avoir cette vision juridique pour bien mesurer l'ampleur des questions en jeu.
Pour conclure, il y a en effet un projet de faire une nouvelle conférence sur un autre thème en janvier, on prendra le temps de la préparer, sur la situation des salariés dans le secteur privé. On va faire un test auprès de la salle. Quel est le salaire médian net mensuel en France. Qui le connaît ?
INTERVENANT. – 1300 euros.
M. LANGLET. - 1600. C'est déjà très faible. 50% des salariés gagnent moins. Il faut mettre tout cela sur la table et dresser un panorama complet. Nous arrivons à un stade invraisemblable : on négocie les CDI maintenant. L'employeur vous convoque et dit : « on va embaucher en CDI, qu'est-ce que vous nous donnez en échange ? ». Passé le moment de surprise, on répond : « ôtez-moi d'un doute, les embauches que vous réalisez, c'est pour travailler, vous en avez besoin ? » « Oui, mais on n'est pas obligé de les embaucher en CDI. Que faites-vous pour qu'on les embauche en CDI ? ».
Tout cela pour dire que l'offensive patronale continue. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que l'avenir passe par le syndicalisme d'entreprise. Le syndicalisme est un syndicalisme de classe inter-entreprises et interprofessionnel, avec des délégués mandatés qui ne sont pas membres de l'entreprise dans laquelle ils vont négocier, mandatés par les assemblées générales de syndiqués locales. Cela reviendra. C'était le cas en 1936. Ce n'est pas si loin. Notons au passage que c'est le gouvernement de 1938 qui a introduit la proposition d'élection de délégués du personnel dans l'entreprise. Déjà, l'idée malicieuse était là.
Donc, on fera une conférence en janvier sur tous ces problèmes.
Enfin, pour répondre à ce qu'a dit M. Vialle, je signale que nous avons, quelques amis et moi, fondé un Institut d'études sociales et économiques du monde du travail dont l'objet est le suivant : « rassembler, étudier et faire connaître tout ce qui dans le domaine social et économique impacte et concerne le passé, le présent et le futur du monde du travail et du mouvement ouvrier. L’appellation « le monde du travail » signifie, au sens classique, la classe ouvrière et les techniciens, employés, ingénieurs, professeurs et cadres du secteur privé et public, et aussi toutes celles et tous ceux qui vivent de la vente de la force de leur travail, manuel ou intellectuel ». C'est cet institut qui organisera la prochaine conférence.
Je vous remercie de votre patience et d'être venus.
La séance est levée à 20 h 55.
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Une brochure de compte rendu de cette conférence débat a été éditée par les soins de l’Institut.
Elle se conclut par un tableau comparatif de la juridiction avant et après la loi du 20/08/2008.
Cette brochure est disponible auprès de l’Institut pour la somme de 5 €.