Il faudrait comptabiliser aussi les économies réalisées par les pays dominants de la zone euro dans le refinancement de leurs dettes publiques : la crise qui a frappé la Grèce et les autres pays de la périphérie a entraîné une fuite des prêteurs privilégiant les pays les plus riches de la zone euro qui, en conséquence, ont bénéficié d’une baisse du coût de leurs emprunts. Dans le cas de l’Allemagne, entre 2010 et 2015, l’économie s’élèverait à 100 milliards d’euros |2|. Enfin, la BCE a acheté dans le cadre du Quantative easing (QE) pour 400 milliards d’euros de titres souverains allemands, le plus souvent avec un rendement nul ou négatif. La BCE a également acheté des titres souverains français pour un montant un peu inférieur à 400 milliards d’euros. Ces achats de titres allemands ou français ne lui rapportent rien tandis que les titres grecs qu’elle détient pour un montant dix fois inférieurs lui ont rapporté 7,8 milliards d’euros. Chacun peut répondre à la question à qui profite cette politique de la BCE.
La mécanique est implacable : chaque fois qu’une partie des profits de la BCEsur les titres grecs a été transférée à Athènes, la somme est immédiatement repartie vers les créanciers pour rembourser la dette. Il faut mettre fin à ce pillage. Les profits de la BCE réalisés sur le dos du peuple grec doivent être rétrocédés à la Grèce et être intégralement utilisés pour financer des dépenses sociales afin de remédier aux effets dramatiques des politiques dictées par la Troïkaet relancer l’emploi. La dette réclamée à la Grèce doit être annulée car elle est illégitime, odieuse, illégale et insoutenable. C’est ce qu’a démontré la Commission pour la vérité sur la dette grecque mise en place par la présidente du parlement grec en 2015 |3|. Le mémorandum en cours doit être abrogé.
Revenons sur la politique de la BCE à l’égard de la Grèce.
Acte 1 : Le rôle de la BCE dans le premier Mémorandum de 2010
La BCE, sous la direction de Jean-Claude Trichet (très lié aux banques |4|), est intervenue avec comme principale préoccupation de limiter au maximum les pertes des banques privées françaises, allemandes, italiennes et du Benelux, très exposées tant auprès du secteur privé que du secteur public en Grèce.
Contrairement à ce que développe à l’envi le discours dominant, le problème principal était posé par les banques privées grecques, au bord de l’insolvabilité, dont la possible faillite constituaient une sérieuse menace pour leurs prêteurs et dans certains cas, leurs propriétaires qui étaient des banques françaises, allemandes, italiennes ou du Benelux |5|.
Au cours de la préparation du Mémorandum de mai 2010, la BCE a refusé de réduire la dette publique grecque alors que, généralement, le lancement d’un plan dit « de sauvetage » est accompagné d’une restructuration de la dette. La BCE refusait cette perspective car elle voulait donner le temps aux banques étrangères des pays dominants de la zone euro de réduire leur exposition à la dette publique.
Le FMIdirigé par Dominique Strauss-Kahn, lui-même proche du lobbybancaire, a adopté la même position que la BCE. Le gouvernement du socialiste grec Georges Papandréou se préoccupait lui aussi de défendre les intérêts des banquiers grecs et était favorable à un plan dit « de sauvetage » qui aurait amené quelques dizaines de milliards d’euros pour les recapitaliser, tout en évitant une réduction de la dette publique grecque qui aurait affecté les banquiers puisqu’ils détenaient eux-mêmes des titres grecs.
Le deuxième aspect fondamental dans l’orientation prise par les principaux protagonistes qui ont mis en place le Mémorandum, c’est la volonté d’appliquer une thérapie de choc en Grèce : baisse radicale des salaires et des retraites, atteintes radicales aux droits sociaux, accélération brutale des privatisations, etc. Mais aussi abandon de l’exercice de la souveraineté de la Grèce en tant que pays et transformation du Parlement en une chambre d’enregistrement des décisions prises par les créanciers. De tels objectifs ne font absolument pas partie du mandat de la BCE, ce qui ne l’a pas empêchée d’intervenir dans plusieurs pays dans le même sens (en Irlande quelques mois plus tard, en Italie également, sans oublier le Portugal et Chypre).
Résumé de l’acte 1.
La BCE intervient :
1. en refusant une réduction de la dette grecque afin de protéger les intérêts des banquiers privés étrangers et grecs et
2. en faisant partie d’une Troïka qui organise le remplacement des créanciers privés par des créanciers publics (à savoir dans un premier temps 14 États de la zone euro pour un montant de 53 milliards d’euros et le FMI pour un montant de 30 milliards d’euros).
Acte 2 : La BCE permet aux grandes banques privées de se dégager avantageusement de la Grèce
Afin d’aider les banques étrangères à réduire substantiellement leur exposition à la dette grecque, la BCE lance le programme SMP par lequel elle achète massivement sur le marché secondaire des titres grecs. La BCE acquiert les titres grecs auprès des grandes institutions bancaires qu’elle veut protéger (ainsi, elle achète en priorité à BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, BPCE, Hypo Real, Commerzbank, Dexia, ING, Deutsche Bank…).
Que serait-il passé si la BCE n’avait pas lancé le programme SMP ? Les prix des titres grecs auraient atteint un taux plancher de l’ordre de 20 % de leur valeur faciale. Or les achats massifs de la BCE ont maintenu le prix à un taux anormalement élevé (de l’ordre de 70 %). En conséquence, grâce à la BCE, les banques privées ont limité leurs pertes au moment de la revente des titres. Alors que la BCE est censée ne pas empêcher le libre jeu des forces du marché, son intervention a impliqué une distorsion des prix de revente des titres en les maintenant à une valeur artificiellement élevée.
Cette intervention était-elle favorable à l’État grec ? Le fait que le prix sur le marché secondaire d’un titre se maintienne à 70 % plutôt que de tomber à 20 % n’améliore pas la situation du débiteur car il doit payer exactement le même montant en termes d’intérêts, calculés sur la valeur faciale. À l’échéance du titre, il doit rembourser 100 % de la valeur faciale. On peut aller plus loin dans le raisonnement : si les titres d’un État atteignent un prix plancher, celui-ci peut proposer un rachat des titres avec une décote et mettre fin au paiement des intérêts (c’est ce que l’Équateur a réussi à faire en 2009 en imposant une décote de 70 % |6|).
Acte 3 : La BCE profite de la restructuration de la dette grecque de mars 2012 et se comporte comme un fonds vautour
En 2011, la BCE prépare activement une restructuration en indiquant qu’elle refusera d’y participer au nom du fait qu’elle est un créancier privilégié (créancier senior). Cette restructuration est préparée en étroite collaboration avec les banques privées des États du centre de la zone euro (et notamment avec Jean Lemierre de la BNP). En novembre 2011, la Troïka se débarrasse de Papandréou après que celui-ci a eu des velléités de convoquer un referendum sur la restructuration à venir. Le gouvernement Papandréou est remplacé par un gouvernement technique dirigé par Lucas Papadémos, qui a été vice-président de la BCE de 2002 à 2010.
En mars 2012, la restructuration que la BCE orchestre implique un haircut de 53 % de la valeur des titres, à charge des créanciers privés.
Qui sont, à ce moment-là, les créanciers privés ? D’une part, les banques grecques, qui, bien qu’elles aient réduit leur exposition |7|, gardent une quantité significative de titres grecs dans leurs actifs. Ceux-ci sont soumis à un haircut mais les banques reçoivent une compensation de plusieurs milliards appelée un sweetener (édulcorant) et se voient garantir une nouvelle injection financière pour les recapitaliser. Les principales victimes sont les fonds de pensionpublics grecs qui ont été forcés par les autorités du pays et la Troïka à convertir leurs actifs en titres grecs quelque temps avant la restructuration (qui était dûment planifiée, mais maintenue secrète).
Les banques françaises, allemandes, italiennes et du Benelux s’étaient dégagées en revendant les titres grecs à la BCE, à des banques chypriotes et à des fonds vautours. Pour faire simple, les banques chypriotes ont pris de plein fouet le haircut et cela a contribué à la crise chypriote qui a suivi quelques mois plus tard et qui a trouvé son dénouement en mars 2013. Quant aux fonds vautours qui avaient acheté avec une décote, ils ont refusé de participer à la restructuration et ont obtenu un remboursement à 100 %. La BCE s’est comportée comme un authentique fonds vautour et obtient également un remboursement à 100 %.
Acte 4 : La BCE fait du chantage permanent
Après la restructuration, la BCE met fin au programme d’achats SMP et lance le programme OMT (Opérations Monétaires sur Titres, ou en anglais, Outright Monetary Transactions).
La BCE se fait rembourser les titres grecs à 100 % de leur valeur et à des taux d’intérêtqui peuvent atteindre 6,5 %. Vu le caractère clairement abusif de sa position, dénoncée y compris par le gouvernement grec, la BCE s’engage à rétrocéder à la Grèce les intérêts perçus. Effectivement, elle effectue au bénéfice du gouvernement Samaras un remboursement de 3,3 milliards d’euros en 2013 et 2014 pour soutenir sa politique néolibérale. En revanche, pendant les six premiers mois du gouvernement de Tsipras, elle refuse d’effectuer une quelconque rétrocession. Depuis lors, la BCE et les banques nationales de la zone euro n’ont rien reversé à la Grèce |8|. Les montants non rétrocédés à l’heure actuelle à la Grèce s’élèvent à plusieurs milliards d’euros |9|. Les remboursements des titres grecs détenus par la BCE sont censés se poursuivre jusque 2037 ! |10|
Ajoutons que la BCE a mis la pression maximum sur le peuple grec pendant les six premiers mois de l’année 2015 afin de le contraindre à se rendre. Le 4 février 2015, la BCE a mis fin à l’octroi normal de liquiditésaux banques grecques afin de soumettre le gouvernement à un chantage permanent et d’augmenter le coût du financement des banques grecques tout en limitant les ressources du gouvernement. Comme cela n’a pas suffi, la BCE a fait fermer les banques grecques six jours avant le référendum du 5 juillet 2015. Malgré ce chantage exercé par la BCE, lors du référendum, 62 % des Grecs ont rejeté les exigences des créanciers.
En matière de profit sur le dos de la Grèce, le FMI n’est pas en reste. Entre 2010 et 2015, il a empoché 3,5 milliards de dollars de bénéfices sur les crédits à la Grèce |11|.
Conclusions :
1. La BCE et les gouvernements de la zone euro refusent de matérialiser l’engagement de rétrocéder l’entièreté des intérêts trop perçus sur les titres grecs.
2. À l’échéance de chaque titre, la BCE perçoit 100 % de la valeur alors qu’elle a acquis ces titres avec une décote importante de l’ordre de 30%. Les taux d’intérêt réels exigés de la Grèce sont totalement abusifs.
3. La BCE et les autres créanciers utilisent la perspective de libérer le solde des intérêts comme un moyen de chantage permanent pour forcer le gouvernement grec à approfondir les réformes néolibérales qui produisent des effets dramatiques sur la population grecque.
4. Les profits accumulés par la BCE, par les États de la zone euro et par le FMI grâce aux crédits à la Grèce doivent être rétrocédés au peuple grec et être intégralement utilisés pour des dépenses sociales afin de lutter contre les effets dramatiques des politiques dictées par la Troïka à la Grèce.
5. La dette grecque doit être annulée et le mémorandum en cours doit être abrogé.
Lien vers la version grecque de l’article : https://www.contra-xreos.gr/arthra/...